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Préjugés

Oisiveté? Accès au marché de l’emploi

Les obstacles à l’emploi

Plusieurs études menées par des chercheur·ses montrent que le taux de participation au marché du travail des personnes relevant du domaine de l’asile est bien moins élevé que pour les personnes au parcours migratoire hors asile (comme les étranger·ères résidant en Suisse) ou pour la population suisse. 

Au-delà de la question du revenu – qui est également en-dessous de ces moyennes – s’ajoute le fait que les contrats de travail sont souvent précaires et que les taux d’activité sont réduits, souvent à durée déterminée ou sur appel. Ces études soulignent ainsi que l’intégration sur le marché du travail reste extrêmement fragile pour cette population, mais surtout que les disparités entre ces trois groupes ne se résolvent pas sur le long terme. 

 Toutes choses égales par ailleurs – c’est-à-dire en tenant compte des différences en termes de durée de séjour, de permis, de niveau de formation, de nationalité, de sexe ou encore d’âge pour ne citer que quelques exemples –, tant les modèles explicatifs du chômage que ceux de la déqualification ont conclu au désavantage qui touche les personnes ayant un parcours d’asile. Cela signifie que, même après l’accès à un permis de séjour stable (B comme C), les réfugiés restent les plus vulnérables sur le marché du travail

Source : Bertrand, 2020, Dans la jungle des permis de séjour. Parcours administratifs et intégration professionnelle des réfugiés en Suisse, p. 226
Tableau comparatif des mesures d'accès à l'emploi et d'intégration selon le statut. +

Accès à l’emploi et mesures d’intégration des personnes demandeuses d’asile (permis N) et admises à titre provisoire (permis F). Évolution et mise en perspective

ChronologieAccès au travailMesures d’intégration
Avant 2007Permis N et F : Priorité aux travailleur·ses résident·es, limitation selon conjoncture économique   « Taxe spéciale » sur le revenu* et sur les valeurs patrimoniales**Permis N et F : Aucune mesure d’intégration au niveau fédéral (ni financement) ; quelques cours de langue dans certains cantons et communes
Dès 1.1.08Permis F : Accès au travail sans restriction, mais toujours obligation d’annonce auprès des autorités cantonales   « Taxe spéciale » sur le revenu* et sur les valeurs patrimoniales**Permis F et B réfugiés : Mesures d’intégration spécifiques (élaborées par les cantons) ; forfait intégration global de CHF 6000.- par personne attribuée au canton, dès obtention du permis
Dès 1.1.18Permis N et F : Suppression de la taxe spéciale sur le revenu 
Dès 1.1.19Permis F : Accès au travail avec simple annonce aux autorités cantonales par l’employeur 
Dès 1.5.19 Permis F et B réfugiés: Forfait de 18’000 CHF (pour personnes qui ont obtenu un statut à partir de cette date). Montant octroyé par personne et rattaché à des mesures individualisées  
Dès 26.8.20Permis F : Liberté de travail dans toute la Suisse, mais pas de changement de canton pour le domicile. 

* Taxe spéciale sur le revenu = selon l’art. 86 de la loi sur l’asile (LAsi), la taxe spéciale sur le revenu (soit environ 10% du salaire) servait à couvrir l’ensemble des frais (aide sociale, départ et exécution du renvoi, procédures de recours) occasionnés par les personnes relevant du domaine de l’asile qui exercent une activité lucrative et par leurs proches. Depuis le 1er janvier 2008, l’obligation de s’acquitter de la taxe spéciale prenait fin lorsque le montant maximal de 15’000 CHF par personne était atteint (mais au plus tard au bout de 10 ans).

** Taxe spéciale sur les valeurs patrimoniales (art. 10 OA 2) = saisie des valeurs patrimoniales (sommes d’argent, objets de valeur, avoirs bancaires) ne provenant pas du revenu d’une activité lucrative pour le remboursement des frais occasionnés par la procédure d’asile (max. CHF 15’000.-, mais au plus tard au bout de 10 ans).

Le statut

L’un des principaux obstacles à l’accès au marché du travail provient du statut. D’une part, en fonction du permis, les possibilités d’accès au travail ne sont pas les mêmes et des restrictions formelles à l’emploi peuvent y être liées, comme dans le cas des personnes en procédure (permis N) dont la durée est variable et peut s’étendre sur plusieurs mois, voire années. 

D’autre part, la nature (prétendument) provisoire de certains de ces permis est particulièrement problématique. Une étude menée par le Forum suisse pour l’étude des migrations et de la population (SFM) révèle le contraste flagrant entre l’intitulé de l’ «admission provisoire» et la durée réelle de séjour de la majorité des personnes concernées, dont près de la moitié vivent depuis plus de sept ans en Suisse. 

La représentation qu’a le patronat de la stabilité de ces permis est à ce titre prépondérante. Un rapport mandaté par le SEM (anciennement ODM) montre notamment que le permis F représente un véritable obstacle aux yeux des employeur·ses, qui ne savent souvent pas qu’il leur est permis d’employer ces personnes sans aucune restriction, et ce même dans un autre canton que leur canton de résidence, et encore moins que ce statut est majoritairement durable. (Voir aussi : Permis F – impasse pour l’intégration, rapport de suivi de l’association Map-F publié en mai 2020.) Un important travail de sensibilisation est donc nécessaire : le grand public, et par conséquent aussi les employeurs publics et privés, ont longtemps cru qu’il était très compliqué d’engager des personnes réfugiées !

Les personnes réfugiées ont-elles vraiment le droit de travailler? +

La réponse est « oui » et la vidéo ci-dessous vous l’expliquera clairement.

La langue

La langue est également un facteur déterminant pour l’accès à l’emploi. Une récente étude révèle que le placement aléatoire des demandeur·ses d’asile dans les cantons – et donc dans différentes régions linguistiques – représente un important obstacle à l’intégration de ces personnes sur le marché du travail suisse. Les résultats indiquent des probabilités sensiblement plus élevées de trouver un emploi lorsque les requérant·es sont placé·es dans des régions où la langue locale correspond à leurs compétences linguistiques individuelles. 

En outre, l’étude suggère que la participation à des cours de langue peut compenser la probabilité réduite de trouver un emploi en cas d’inadéquation linguistique. Or, en Suisse, l’accès aux cours de langue et aux mesures d’intégration varie d’un canton à l’autre. 

Lire également

Autres freins

Qualifications, discriminations à l’embauche, structure du marché du travail

S’ajoutent à ces dimensions spécifiques, des problématiques plus générales, touchant d’autres catégories d’immigrant·es : la difficulté à faire reconnaitre leurs qualifications et diplômes, et donc les problèmes de déqualificationles discriminations à l’embauche (ethniques, raciales, religieuses ou de genre) et plus généralement le taux de chômage, les structures économiques locales et les possibilités d’intégration, déterminées notamment par la «loterie des communes».

Conditions de vie

D’autres facteurs explicatifs sont directement liés aux personnes et à leur parcours individuel, notamment en ce qui concerne les traumatismes et les vulnérabilités particulières. Une étude récente menée dans le cadre du NCCR–on the move démontre une corrélation entre les expériences post-migratoires (chômage, statut précaire, peur du rapatriement, exclusion sociale, mais aussi insécurité légale, conditions d’hébergement, isolement) et la santé mentale des personnes demandeuses d’asile et réfugiées. Ainsi, bien que la santé psychique liée aux traumatismes vécus avant l’arrivée ait une influence certaine sur le processus d’intégration de ces personnes, les conditions de vie et les contraintes rencontrées en Suisse ont autant, voire davantage d’impact sur leur capacité d’intégration et d’intégrer le marché du travail.

Obstacles levés

Enfin, il convient de noter qu’un certain nombre d’obstacles (administratifs) ont récemment été abandonnés du fait que les autorités ont réalisé combien les entraves au marché du travail étaient préjudiciables pour l’ensemble de la société. La « taxe spéciale » à laquelle étaient soumises les personnes relevant de l’asile en est un exemple notoire : jusqu’à fin 2017, une taxe de 10% était en effet prélevée sur les revenus bruts des personnes en procédure d’asile et des permis F salarié·es pendant 10 ans et jusqu’à concurrence de 15’000 francs. En raison des obstacles à l’embauche qu’elle représentait, cette disposition a été supprimée à partir du 1er janvier 2018. 

Le genre

Permis F : l’exclusion au féminin

Une étude du SFM relève que ce sont majoritairement des femmes (ainsi que des familles, des personnes âgées et des enfants) qui composent la catégorie des admissions provisoires de longue durée. Pour atteindre une plus grande stabilité, la plupart d’entre elles aspirent à l’obtention d’un permis de séjour (permis B). Or, l’obtention de ce permis est soumise au critère de l’intégration ; et qui dit intégration dit d’abord indépendance financière et ensuite acquisition de la langue et insertion sociale en Suisse. Ce sont donc ces personnes qui ont le moins de probabilités d’avoir les ressources économiques adéquates pour améliorer leur situation et par conséquent changer de statut. L’ODAE romand illustre parfaitement cette problématique dans le cadre du cas « Houria ».

La chercheuse Sophie Hodel consacrait également en 2011 un article intitulé « Permis F : l’exclusion au féminin » à cette problématique dans le numéro 135 de la revue Vivre Ensemble, dont voici un extrait :

« Le plus souvent dénuées d’expérience professionnelle et relativement peu formées, [les femmes en exil] se heurtent à d’importantes limites sur le marché du travail. Celui-ci tend vers une professionnalisation de tous les secteurs, de sorte qu’elles n’accèdent qu’à des emplois précaires, mal rémunérés et peu qualifiés, notamment dans le secteur du nettoyage. Les horaires de travail et la flexibilité attendus d’elles dans ce secteur sont difficilement compatibles avec leur vie familiale, ce d’autant plus que les places de crèche font défaut ou qu’elles n’ont pas les moyens de les financer.

Dans ce contexte, leur statut administratif agit en démultiplicateur de précarité. Non seulement parce que la nature provisoire du permis F est source d’angoisse constante, mais aussi parce que ce permis est souvent dévalorisé par les structures et institutions avec lesquelles elles entrent en contact dans leur parcours d’intégration. Le permis F est perçu comme un permis « non valable ». Il constitue ainsi un facteur d’exclusion de la société d’accueil et du marché du travail. »

Sophie Hodel, Permis F : l’exclusion au féminin, Vivre Ensemble n°135 / décembre 2011 

Bertrand, Anne-Laure (2020). Dans la jungle des permis de séjour. Parcours administratifs et intégration professionnelle des réfugiés en Suisse, Zurich, Seismo.

Bolzman, Claudio, Felder, Alexandra, et Antonio Fernandez (2020). En transition : trajectoires de formation de jeunes migrant·e·s en situation juridique précaire, Genève, Éditions ies.

Fibbi, Rosita, Kaya, Bülent, et Etienne Piguet (2003). « Le passeport ou le diplôme ? Étude de discriminations à l’embauche des jeunes issus de la migration », SFM Studies, 31.

KEK-CDC/BSS, Participation des réfugiés et des personnes admises à titre provisoire sur le marché suisse du travailavril 2014.

Atitsogbe, Kokou A., Durante, Federico, et Jérôme Rossier (2020), « Intégration des demandeur·euse·s d’asile admis·es provisoirement en Suisse : Rôle de la formation professionnelle », L’orientation scolaire et professionnelle, 49(3), p. 481-501.

Map-F, Status F – Sackgasse oder Ausgangspunkt zur Integration ?, mai 2020. (Voir aussi : Permis F – impasse pour l’intégration.)

ODAE romand, Permis F : admission provisoire ou exclusion durable ?, octobre 2015.

SFM, Aufenthaltsverläufe vorläufig Aufgenommenerin der Schweiz. Datenanalyse im Auftrag der Eidgenössischen Kommission für Migrationsfragen EKM, décembre 2014. (Voir aussi la version succinte de l’étude en français.)

Wanner, Philippe (2017). How Well Are Asylum Seekers and Refugees Integrating into the Swiss Labor Market? nccr-on the move & Université de Genève, Institut de démographie et socioéconomie.