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Notre regard

Témoignage | Mon histoire, une histoire inachevée

Filmon

Je suis arrivé en Suisse seul, à 14 ans. C’était fin 2016. J’ai demandé l’asile au centre de Zurich et en un mois, j’ai reçu un permis F. J’ai compris que ce statut était spécial, provisoire. Certains de mes camarades ont quitté la Suisse et d’autres ont pris de mauvais chemins, dévastés par l’issue de leur demande d’asile. Moi j’étais déterminé à éviter le même sort et j’ai tenu le coup. Après deux mois à Zurich, j’ai été transféré dans un centre à La Chaux-de-Fonds avant de déménager dans un foyer pour mineurs à Neuchâtel où je suis resté jusqu’à mes 18 ans. Là, j’ai appris le français, j’ai renoué avec ma passion pour le sport et j’ai repris le chemin de l’école.

J’ai travaillé dur pour suivre le rythme des cours. Je rêvais de pouvoir aller au lycée. Poursuivre des études, cela aurait été inimaginable dans mon pays d’origine, l’Érythrée, où j’étais berger. Quand mes efforts sont devenus trop difficiles, mes profs m’ont conseillé de faire un apprentissage, mêlant théorie et pratique.

Ainsi j’ai commencé une formation de technicien-dentiste sur quatre ans. Ma première année s’est déroulée sans encombre, malgré les longs trajets de Neuchâtel à Genève pour me rendre à l’école, la seule en Suisse romande. À 18 ans, j’ai quitté le foyer et j’ai emménagé dans un petit studio, équilibrant seul mes dépenses et mes études.

Les choses se sont gâtées au cours de ma 3ème année lorsque j’ai dû quitter mon  poste d’apprenti à Neuchâtel. J’ai alors parcouru la Suisse entière à vélo (je n’ai pas reçu de soutien financier pour mes déplacements) pour trouver une nouvelle place. J’en ai trouvé une dans le canton de Soleure, mais l’allemand a rendu les choses trop difficiles. C’était une période horrible, j’avais l’impression qu’on voulait m’enfoncer plutôt que me donner un coup de main. Miraculeusement, j’ai retrouvé une nouvelle place, cette fois-ci à Lausanne, où je suis toujours. J’ai perdu une année à cause de cette histoire. Ma 4e année d’apprentissage a été marquée par de nouvelles difficultés. Le Service des migrations du canton de Neuchâtel m’a imposé de partager mon petit studio avec un colocataire. Des tensions ont émergé entre nous à cause de nos modes de vie différents et cela a perturbé ma concentration. J’ai demandé qu’on me mette plutôt avec une personne en formation pour qu’on soit deux à avoir besoin de calme pour faire nos devoirs. Mais cela n’a pas fonctionné.

J’ai parcouru la Suisse entière à vélo pour trouver une nouvelle place.

Il me restait une dernière chose à tenter : changer de canton pour me rapprocher de mon lieu de travail et améliorer mes chances de réussite. Mais les autorités ont rejeté ma demande. Frustré, je me suis senti écrasé par le système, comme si mes efforts étaient sapés. J’ai finalement repris les choses en main et j’ai commencé à dormir chez des connaissances illégalement, dans le canton de Vaud. Je dis illégalement, parce qu’une personne avec un permis F comme moi n’a pas le droit d’aller habiter hors de son canton d’attribution. Malgré ma motivation, l’instabilité a eu des conséquences négatives et j’ai échoué à l’examen pratique final de mon apprentissage il y a quelques mois. Mais je le repasserai l’année prochaine et entre-temps mon employeur a augmenté un peu mon salaire.

En août dernier, j’ai fait une nouvelle demande de changement de canton au SEM qui l’a acceptée cette fois-ci. Mais une fois arrivé dans le canton de Vaud, impossible de me payer un loyer avec le salaire que je touche. Je continue donc à vivre chez des amis. J’ai demandé récemment un permis B. Comme j’ai dû attendre 7 ans avant de pouvoir obtenir une bourse [1]Le 1er juillet 2024, l’exigence de sept ans de résidence pour les personnes admises à titre provisoire avant d’accéder à une bourse dans le canton de Neuchâtel a été supprimée. Les … Lire la suite cela a retardé mon indépendance financière et donc la possibilité de changer mon permis F en B.

Je vais conclure en remerciant sincèrement toutes les personnes que j’ai côtoyées depuis mon arrivée en Suisse. Celles qui m’ont aidé à apprendre le français, alors que je ne savais pas un seul mot, à savoir le personnel du foyer Corail et bien sûr mes profs du collège du Mail à Neuchâtel ; celles qui m’ont coaché dans le domaine du sport ; celles qui m’ont hébergé chez elles alors que j’allais me retrouver dans la rue, et celles qui continuent à m’héberger. Merci à ma famille et mes amis. Merci aussi quand même à la Suisse même si rien n’était facile. Merci mille fois.

Aujourd’hui âgé de 22 ans, je sais que mon parcours ne fait que commencer, mais je crois que j’ai acquis les ressources nécessaires pour affronter la suite.

A propos de la revue

Cet article est paru dans le 200e numéro de notre revue d’information sur l’asile et les migrations. A cette occasion, nous avons voulu proposer une édition spéciale, sortant de notre habituelle démarche éditoriale. C’est ainsi que le contenu de cette revue a été entièrement rédigé et illustré par des personnes réfugiées.

Pour en apprendre plus sur la démarche, le processus et les perspectives qui s’ouvrent pour la suite, nous vous renvoyons vers le making-off de ce numéro spécial. Bonne lecture!


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Notes
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1 Le 1er juillet 2024, l’exigence de sept ans de résidence pour les personnes admises à titre provisoire avant d’accéder à une bourse dans le canton de Neuchâtel a été supprimée. Les titulaires du permis F ont désormais accès à une bourse sans délai, comme les autres réfugié·es.
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