Aller au contenu
Notre regard

SCOLARISATION | «Quand le droit à l’éducation ne s’applique pas à tout le monde»

DANIELLE OTHENIN-GIRARD

Cet article fait partie du dossier – Enfants en exil

L’association «Éducation pour tou·xtes – maintenant !» a publié cet automne un rapport sur les conditions de scolarisation des enfants issus de l’asile. Sans surprise, il souligne d’importantes  disparités cantonales dans l’accès à l’école. Aucun canton n’est exemplaire, selon le rapport qui  pointe des moyens d’enseignement clairement ségrégationnistes dans trop d’entre eux et appelle urgemment à des modifications. 

Source: Harrison Keely, Wikimedia Commons

La démarche s’inscrit dans le prolongement de la campagne menée en 2020-21 avec la pétition «Améliorer l’accès à la formation et au travail pour les personnes exilées» [1]Voir Éducation pour tou·xtes – maintenant 2021. Les  revendications d’alors portaient déjà sur la nécessité d’une intégration rapide et systématique des enfants dans l’école obligatoire, ainsi que sur une limitation maximale des hébergements collectifs pour les familles avec enfants en âge de scolarité. Depuis, l’association «Éducation pour tou-xtes – maintenant» a élargi son champ d’investigation, en multipliant les recherches dans les divers cantons suisses, afin d’identifier l’ensemble des situations problématiques et d’en analyser les causes. Un travail en profondeur afin de constituer un outil d’information, de sensibilisation et d’appel au changement.

Des changements que le rapport qualifie à plusieurs reprises d’urgents, en insistant sur la responsabilité des autorités, tant au niveau fédéral que cantonal et communal. Le problème majeur est la disparité des mesures adoptées par les différents cantons, avec des degrés très variables d’exigence de garanties d’accès à l’éducation. Si certains s’efforcent de mettre en œuvre des concepts de scolarisation répondant aux besoins des enfants issus de l’asile, trop de cantons sont encore à la traîne, avec des moyens d’enseignement clairement ségrégationnistes, plaçant la Suisse dans une très mauvaise position en regard de ses obligations d’appliquer la Convention des Droits de l’enfant. Et même dans les cantons les plus soucieux d’une bonne intégration scolaire, des manques se font gravement sentir. 

13 DOMAINES PROBLÉMATIQUES

Au fil de ses recherches, «Éducation pour tou·xtes» a recensé une série de déficits. Ses constats se fondent sur un grand nombre d’entretiens avec des parents, des enseignant·es, des bénévoles engagé·es, des professionnel-les, ainsi que des représentant·es des autorités et services d’administration ou des membres d’ONG. Parmi les lacunes les plus inquiétantes: 

  • une scolarisation trop souvent séparée de l’école ordinaire, privant les enfants issus de l’asile de bénéficier intégralement du programme scolaire officiel. Une réalité qui ne touche pas seulement les enfants placés dans les Centres fédéraux d’asile (CFA) – avec la justification d’un séjour temporaire (140 jours maximum). Celles et ceux attribués aux cantons – et donc inscrits à l’école publique – se retrouvent parfois dans des classes particulières, même à l’extérieur des bâtiments scolaires. Les risques encourus sont l’isolement, un nombre d’heures et de matières enseignées moins élevé, le recours à un personnel enseignant insuffisamment formé et rarement remplacé en cas d’absence, étant donné des contrats de travail souvent plus précaires.
  • des conditions de logement qui peuvent être très mauvaises, en particulier dans les cas de prolongation de séjour en «hébergement collectif», un contexte de vie fortement préjudiciable au bon développement des enfants et à leurs apprentissages scolaires (manque d’espace et de calme pour étudier correctement, manque de matériel et de livres à disposition, éloignement géographique par rapport aux écoles officielles, bibliothèques, etc…)
  • des lacunes dans la formation des enseignant·es, dans le sens qu’elle devrait davantage inclure une sensibilisation aux questions de migrations et d’asile, aux problématiques de vulnérabilité dont souffrent les enfants, ainsi que des connaissances sur leurs droits et les lois qui les protègent.
  • un défaut systématique d’information et de communication au sein des administrations: les employé·es des différents services méconnaissent souvent les situations des enfants issus de l’asile, leur parcours scolaire, le cadre légal qui les concerne, les aides dont ils peuvent bénéficier. Il en résulte des incompréhensions, des erreurs d’aiguillage, un manque d’utilisation des compétences et services à disposition.

NÉCESSITÉ DE COORDINATION ET DE LIGNES DIRECTRICES

Les problèmes se révèlent multiples, à grande échelle, manifestement d’origine structurelle. Certes le fédéralisme apporte sa part de complexité, mais à lui seul il n’empêche pas d’imaginer des canaux d’échanges et de communication!

Comme déjà signalé, un des points forts du présent rapport est de rappeler les rôles que doivent assumer les autorités tant politiques qu’administratives, chacune à leur niveau. En premier lieu, les autorités scolaires des cantons et des communes doivent développer des dispositifs d’informations et de soutien au personnel enseignant, mais aussi de surveillance des réalisations concrètes sur le terrain. Par ailleurs, il importe de créer un lieu d’échanges intercantonal afin de comparer les différentes pratiques et de mener une réflexion commune autour de lignes directrices. Une démarche qui doit recevoir le soutien de l’autorité fédérale. 

Sous couvert que les cantons sont les principaux décideurs en matière de scolarité, trop souvent la Confédération se retire, renvoyant la solution des problèmes aux autorités cantonales. C’est oublier le rôle de facilitation qu’elle peut jouer pour une meilleure harmonisation et garantie de l’application de ses engagements internationaux. À ce jour, concernant les enfants issus de l’asile et leur droit fondamental d’accès à l’éducation, il n’existe effectivement aucune étude nationale regroupant des collectes de données précises. 

Comme parents, nous voyons avec beaucoup d’inquiétudes la perte de leurs acquis et cette dynamique de marche arrière qui s’installe. Il ne s’agit pas uniquement d’aller à l’école, mais également de pouvoir faire des apprentissages significatifs, de rencontrer d’autres enfants, de jouer, d’avoir une vie autant insouciante que possible tout en se développant et s’épanouissant. Cette absence d’activité, l’école au rabais à l’écart de la scolarité ordinaire, peut clai-rement aggraver et accentuer les problèmes psychologiques de nos enfants qui ont subi un périple long, douloureux, souvent violent pour arriver ici en Suisse.

Lettre à la Conseillère d’État en charge de l’instruction publique par des parents hébergés au CFA de Giffers (fév. 2023)


L’information a un coût. Notre liberté de ton aussi. Pensez-y !
ENGAGEZ-VOUS, SOUTENEZ-NOUS !!