Aide d’urgence | Les leçons du passé
Nicole Andreetta
Depuis le 1er janvier 2008, toutes les personnes déboutées de leur demande d’asile sont exclues de l’aide sociale. Elles n’ont plus le droit de travailler et sont relogées dans des hébergements collectifs privés d’encadrement social. Sur la base de la Constitution fédérale (art. 12 Cst.), les personnes concernées peuvent demander une «aide d’urgence». Les personnes vulnérables (femmes seules, enfants…) sont également touchées par cette mesure qui avait été votée par la population suisse lors des durcissements de la loi sur l’asile en 2006. Ces conditions d’existence dégradées avaient pour but d’inciter les personnes dont le renvoi n’était pas exécutable à quitter volontairement et rapidement le territoire.

En février 2014, le Centre de droit des migrations organise à Fribourg un colloque d’expert·es sur la question des bénéficiaires de longue durée de l’aide d’urgence. Toujours plus de personnes survivent dans cette précarité. La situation des enfants est particulièrement préoccupante. Alors que l’on comptait 317 mineur·es concernés dans toute la Suisse en 2008, ce nombre s’élevait à 2363 en 2012. En décembre 2013, la conseillère nationale zurichoise Barbara Schmid-Federer (Le Centre) avait interpellé le Conseil fédéral à leur sujet[1]Effets de l’aide d’urgence sur les enfants et les adolescents, interpellation 13.4038.
Le rapport du colloque souligne l’échec de ce régime. L’art. 12 Cst. vise à établir une aide transitoire et non un soutien durable. Parler «d’urgence» après une durée de 5 ans devient une absurdité! Parmi les recommandations, il est suggéré de réfléchir aux possibilités de régularisation, en particulier pour les enfants et adolescent·es âgé·es de moins de 15 ans.
LES « CAS DE RIGUEUR »
L’art. 14 al.2 LAsi prévoit que les requérant·es d’asile et les personnes déboutées peuvent, sur demande du canton, recevoir une autorisation de séjour s’ils séjournent en Suisse depuis au moins 5 ans à condition de faire valoir une intégration poussée.
Il s’agit alors de témoigner d’une intégration parfaite, de montrer un comportement irréprochable ainsi que de décrocher une promesse d’emploi. Mais comment convaincre un employeur potentiel de se faire engager après 5 ans de désintégration, a fortiori lorsqu’on est débouté? Comment prouver que l’on s’intéresse à la vie de la société après avoir vécu une mise à l’écart forcée? Comment motiver ses enfants devenus adolescent·es à s’intéresser à l’avenir, tout en supportant les pressions et les menaces de renvois ? Et comment les aider à choisir une formation, un métier, alors qu’ils n’auront peut-être pas le droit de faire un apprentissage?
Le 19 novembre 2022, le MASM (Médecins Action Santé Migrant·e·s) organise à Lausanne un colloque intitulé «Le chemin de l’exil, un continuum de violence». Parmi les sujets traités, les conséquences de l’aide d’urgence dans la vie quotidienne des familles sont évoquées par différents spécialistes.
… certains parents n’ont plus la disponibilité psychique pour répondre aux besoins de leur enfant, absence de perspectives professionnelles et de projets de vie, facteurs protecteurs pourtant primordiaux pour les adolescents et jeunes adultes.
Sarah Depallens, pédiatre (Migralgie, p.63)
… un individu qui reste dans l’attente des décisions fondamentales concernant sa vie et qui ne peut agir au quotidien pour donner un sens à son existence risque très rapidement de voir son état psychique se détériorer, et cette atteinte pourra se transmettre à ses enfants.
Javier Sanchis Zozaya, psychiatre (Migralgie, p.67)
Dans plusieurs cantons, des associations et des personnes issues de la société civile se mobilisent pour soutenir les familles en accompagnant les enfants tout au long de leur scolarité. Les années passent et certains enfants sont parvenus à l’âge adulte. Une troisième génération soumise à l’aide d’urgence pourrait voir le jour.
La Commission fédérale des migrations finit par se pencher sur la situation des enfants de parents déboutés. Le 30 septembre 2024, une étude concernant toute la Suisse est publiée. Le communiqué de presse qui l’accompagne fait clairement état que «les conditions de vie des enfants et adolescent·es soumis au régime d’aide d’urgence mettent en danger leur santé et leur développement». Que cette situation n’est conforme ni à la Constitution fédérale ni au droit international. Et parmi les recommandations émises par la commission: il faudrait éviter que des enfants et adolescent·es ne vivent plus d’une année à l’aide d’urgence!
Pourtant, rien n’est encore réglé. Les leçons du passé peinent à porter du fruit. L’État suisse a exprimé des regrets et s’est excusé auprès des enfants placés. Il a reconnu un crime contre l’humanité vis-à-vis des enfants Yéniches et Manouches/Sintés. Il lui est aussi demandé de reconnaître ses torts envers les enfants des saisonnières·ers.
À quand les excuses envers les enfants victimes de l’aide d’urgence ?
Notes
| ↑1 | Effets de l’aide d’urgence sur les enfants et les adolescents, interpellation 13.4038 |
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