Sahara | Le travail d’Alarme Phone face aux dangers de la traversée du désert
Chloé Sibille, elisa-asile
Avant la périlleuse traversée de la Méditerranée, avant même d’atteindre le Nord de l’Afrique, les personnes migrantes qui se dirigent vers les pays du Maghreb ou vers l’Europe font face aux dangers de la route saharienne. Une réalité encore largement méconnue en Europe. Pourtant, ce parcours migratoire se caractérise par sa dangerosité, liée aux conditions climatiques extrêmes du désert mais aussi en raison de refoulements massifs de la part des pays du Maghreb observés ces dernières années. L’organisation Alarme Phone Sahara s’efforce de porter secours aux personnes en détresse et d’informer sur les réalités de cette route migratoire. L’association elisa-asile a pu échanger avec les responsables de l’ONG sur ces enjeux.

En 2024, plus de 31 000 personnes ont été refoulées par l’Algérie vers le Niger. Début juin 2025, les autorités nigériennes en décomptaient déjà plus de 23 000 [1]Le Monde, « Niger : plus de 16 000 migrants irréguliers africains refoulés d’Algérie en deux mois, selon les autorités », Le Monde avec AFP, 05 juin 2025. Une grande partie de ces personnes sont transportées et abandonnées au milieu du désert, souvent dans des conditions critiques, sans ressources ni moyens pour rejoindre le village le plus proche.
Face à ces violations des droits humains et au constat plus large de la dangerosité de la traversée du Sahara par les personnes migrantes, Alarme Phone Sahara, qui s’engage pour une liberté de circulation, s’est constituée pour venir en soutien à ces personnes.
A l’initiative de Léonie Jantzer, membre de l’organisation en Allemagne, nous avons rencontré Azizou Chehou, coordinateur d’Alarme Phone Sahara au Niger. Il partage avec nous son expertise sur les réalités du terrain et sur le contexte géopolitique conduisant à ces violations de droits humains.
Alarme Phone Sahara
Active depuis 2016, l’ONG est un réseau de citoyen·es engagé·es sur les questions migratoires dans le Sahara, en particulier dans le sauvetage de personnes en détresse.
Leurs actions se répartissent selon 4 domaines que sont l’information – la mise à disposition d’avertissements et de conseils sur les risques liés à la traversée du désert -, la documentation – l’enregistrement et la diffusion des cas qu’iels rencontrent, les refoulements et les décès mais aussi les témoignages -, le secours – l’assistance de personnes en détresse dans le désert, grâce au travail de lanceur·ses d’alertes et à la mise en place d’une ligne téléphonique gratuite – et le plaidoyer – la sensibilisation des populations civils et des institutions africaines et européennes sur la réalité migratoire dans cette zone.
“Notre devise en tant qu’Alarme Phone Sahara, c’est : droit de partir, droit de rester. Ça veut dire que nous n’encourageons pas la migration et nous ne décourageons pas la migration. Parce qu’au fond, nous ne connaissons pas les raisons profondes qui font que des personnes décident d’émigrer. Sachant aussi, de l’autre côté, que la migration est un droit.”
Azizou Chehou
Les dangers du Sahara
En traversant le Sahara, les personnes migrant vers le Maghreb ou vers l’Europe s’exposent à de nombreux aléas liés aux conditions environnementales du désert : températures extrêmes, isolement, manque de nourriture, accidents, pannes de véhicules, désorientation, etc… Nombre de personnes migrantes en route vers le Sahara sont insuffisamment informées sur ces conditions, d’où l’importance du travail d’information et d’assistance d’Alarme Phone Sahara.
A cela, s’ajoutent les risques liés à un contexte d’impunité face à la violation des droits des personnes migrantes, d’agressions physiques, psychologiques et sexuelles. Ces dangers proviennent aussi bien des chauffeurs que des passeurs, des forces de l’ordre, d’organisations criminelles ou encore des populations locales. Alarme Phone Sahara relève la vulnérabilité particulière des femmes lors de cette traversée, principales victimes des violences sexistes et sexuelles.
“Il y a plusieurs sortes de violations de leurs droits. Par exemple, on peut les démunir de leurs biens, on peut les agresser physiquement, voire les blesser. On peut les taper jusqu’à leur faire subir des séquelles à vie. Et nous avons des handicapé·es à vie, des personnes qui ont perdu la vue, des personnes qui ont perdu des membres, des personnes qui ont perdu leur faculté de parler et des personnes traumatisées qui ont perdu carrément la raison.”
Azizou Chehou
Ces dangers ont notamment été mis en lumière par le rapport conjoint de l’OIM (Organisation Internationale pour les Migrations), du HCR (Haut Commissariat des Nations unies pour les Réfugiés) et du MMC (Mixed Migration Center) sur les routes migratoires de l’Afrique de l’Ouest et de l’Afrique de l’Est vers la côte méditerranéenne [2]International Organization for Migration (IOM), Mixed Migration Centre (MMC), Office of the United Nations High Commissioner for Refugees (UNHCR), On this journey no one cares if you live or die vol. … Lire la suite. Publié en 2024, ce rapport reconnaît la dangerosité particulière de cette route migratoire et la sous-estimation du nombre de personnes décédées lors de leur traversée du désert. Selon des estimations, le Sahara serait deux fois plus meurtrier que la Méditerranée.
De manière générale, le secours porté aux personnes migrantes dans le désert tout comme les risques auxquels elles sont confrontées dépendent de l’évolution du contexte géopolitique de la région qui inclut non seulement la présence de groupes armés mais aussi des décisions politiques et accords multilatéraux.
Les refoulements vers le désert
Lorsqu’elles ont réussi à franchir le désert, les personnes migrantes sont confrontées aux risques de refoulements illégaux commis par les pays du Maghreb.
Ainsi, Alarme Phone Sahara dénonce des expulsions de l’Algérie vers le Niger qui se font par “convoi officiel” ou par “convoi non officiel”[3]Alarme Phone Sahara, Expulsions massives des pays du Maghreb, 06 août 2024. Les convois officiels, constitués de citoyens nigériens, sont amenés jusqu’à la petite ville frontalière d’Assamaka et confiés aux forces de l’ordre. Les convois non officiels, formés en principe de personnes de toute autre origine, sont amenés jusqu’à la frontière, au “point zéro”, à 15 kilomètres d’Assamaka. Dans ce deuxième cas, les personnes expulsées sont entassées dans des camions de transport de marchandises et déposées en plein milieu du désert, souvent sous-alimentées et blessées.
“Ils ont pris toute notre nourriture, tout ce qu’on avait en main. Ensuite, ils nous ont pris dans leur voiture et nous ont déposés dans le désert.”
Ismail Soumaoro, citoyen ivoirien expulsé vers Assamaka [4]ibid.
Ces expulsions, et leur accroissement au fil des années, sont expliquées par un contexte de mise en place de politiques hostiles aux migrations, au Maghreb mais aussi en Europe.
Concrétisant sa volonté de renforcer ses frontières, l’Union européenne multiplie les accords de lutte contre l’immigration irrégulière vers l’Europe avec ses pays voisins, dont les pays du Maghreb. En parallèle, les États européens multiplient les coopérations policières avec ces mêmes pays.

Les liens entre les soutiens financiers européens et ces violations de droits humains ont été mis en évidence par une enquête menée au Maroc, en Tunisie et en Mauritanie par le média Lighthouse Reports [5]Lighthouse Reports, Desert Dumps, 21 mai 2024 et sept médias internationaux, dont Le Monde [6]Le Monde, « Comment l’argent de l’UE permet aux pays du Maghreb d’expulser des migrants en plein désert », Nissim Gasteli, Andrei Popoviciu, Tomas Statius, Thomas Eydoux, Liselotte Mas, Maud … Lire la suite. Le rapport permet de démentir les déclarations de divers représentants européens d’absence de liens entre ces financements européens et les pratiques de refoulements massifs. Ces violations des droits humains sont non seulement connues de l’Union Européenne mais aussi mises en œuvre grâce à l’argent, aux équipements et aux coopérations policières de l’UE et des pays européens.
Par ses diverses actions, Alarme Phone Sahara lutte activement contre ces refoulements par le secours, la documentation et le plaidoyer. L’organisation porte secours aux personnes refoulées directement au “point zéro” et les accompagne vers Assamaka. Une fois sur place, elle propose une assistance à ces personnes, notamment en offrant des services médico-sociaux, en proposant des espaces d’échange et en facilitant le dialogue avec l’OIM en cas de volonté de retour. Cette aide est d’autant plus importante dans la mesure où ce petit village est totalement démuni face à l’ampleur de ces refoulements.
Le message d’Alarme Phone Sahara
Enfin, les représentant·es d’Alarme Phone Sahara avec qui nous avons pu échanger ont affirmé leur volonté de lutter contre les idées reçues liées à la migration de l’Afrique vers l’Europe. Iels proposent notamment l’idée d’un dialogue entre les personnes migrantes et celles et ceux qui, ici, n’arrivent pas à concevoir les apports positifs, les compétences, les connaissances, que la migration peut apporter et la voit parfois comme une menace.
A cet égard, il est essentiel de rappeler que la migration africaine est avant tout un phénomène intra-africain, de nombreuses personnes immigrant vers leurs pays voisins ou vers le Nord de l’Afrique. Les personnes qui continuent leur trajet vers l’Europe sont souvent attirées par l’image de liberté et de respect des droits humains donné des pays européens dans les médias. Une image souvent bien éloignée de la réalité.