Législation | Le DFJP en veut aux «vrais» réfugiés
La loi sur l’asile a été durcie un nombre incalculable de fois. A chaque fois, le Département de justice et police (DFJP) a pris prétexte de certains problèmes (trop de délinquants, trop d’abus) pour introduire des modifications qui frappaient également de nombreux réfugiés de bonne foi. Fini les faux prétextes. Dans la révision à venir, nombre de propositions visent très directement ceux qu’on appelle parfois les «vrais réfugiés». Ceux dont tant de déclarations officielles assuraient qu’ils pourraient toujours trouver asile dans notre pays. Aujourd’hui la Suisse officielle est fatiguée du droit d’asile.
Dès son discours du 11 avril 2008, à l’occasion de ses cent premiers jours au Conseil fédéral, Madame Widmer-Schlumpf avait annoncé son intention de durcir encore la loi sur l’asile mise au point par Monsieur Blocher. Le projet a été affiné et précisé. Après consultation, il débouchera, certainement l’an prochain, sur un message aux Chambres fédérales et une nouvelle révision. Voici, à ce stade, le contenu des principales propositions du projet.
L’objection de conscience et la désertion ne pourront plus être invoqués comme motif pour obtenir le statut de réfugié.
En réalité, aucun déserteur n’a jamais obtenu l’asile pour ce seul motif, mais bien en raison des graves persécutions que la désertion ou l’objection entraîne dans certains pays.
Ainsi en Erythrée, où le régime s’est durci au point de torturer systématiquement les réfractaires qu’il peut arrêter. Le droit international interdisant leur renvoi, le DFJP souhaite leur octroyer une admission provisoire et non un statut de réfugié. Et comme il ne peut modifier les Conventions internationales, il s’attaque à une jurisprudence de l’ex-commission de recours en matière d’asile (CRA devenu TAF) qui aurait «créé un appel d’air» en reconnaissant aux déserteurs érythréens «un motif de fuite» – une vieille rengaine de l’UDC.
Le DFJP veut priver les personnes en danger de la possibilité de demander l’asile dans une ambassade. Raison invoquée? Le coût et la hausse des demandes qui y sont déposées.
Celui qui est admis dans une procédure d’ambassade est quasiment assuré d’obtenir l’asile. Le DFJP refuse ainsi sa protection aux «vrais réfugiés», contraints de s’en remettre aux passeurs et aux filières mafieuses, alimentant du même coup leurs trafics (humains, drogues, armes).
Le coût est exorbitant, tant financièrement qu’humainement, pour les individus. Quant aux ambassades, elles ont exprimé de sérieux doutes sur l’économie réalisée. S’il est vrai que peu de pays appliquent cette procédure, un seul est le dépositaire de le Convention de Genève sur les réfugiés: la Suisse.
Inexigibilité du renvoi conduisant à une admission provisoire. Les demandeurs d’asile déboutés devront apporter la preuve – et non plus démontrer la vraisemblance – du «danger concret» qu’ils encourraient en cas de renvoi.
Lorsque les critères très stricts de la définition légale du réfugié ne sont pas remplis, mais qu’un renvoi est considéré comme inexigible, une admission provisoire en Suisse est prononcée. Actuellement, l’Office fédéral des migrations (ODM) est chargé d’établir les faits. Le projet de révision veut faire porter la charge de la preuve sur le requérant lui-même (voir Vivre Ensemble, n°119, septembre 2008). Comment le demandeur d’asile, bloqué en Suisse et sans moyens d’enquête, pourra-t-il prouver que sa famille a été dispersée, que l’insécurité menace son village ou que l’hôpital de la région est incapable de traiter telle ou telle maladie? De nombreuses personnes en danger seront ainsi renvoyées de Suisse.
Réduire le délai de recours de 30 jours à 5 jours ouvrables pour les demandes de réexamen d’une demande d’asile.
Ces réexamens conduisent souvent à accorder le statut de réfugié ou une admission provisoire – signe de procédures bâclées. Réduire à 5 jours le délai de recours – comme pour les cas de non-entrée en matière – empêchera nombre de personnes en danger de se défendre correctement. Le dernière révision a déjà essayé de faire obstacle à ces réexamens en permettant dans certains cas d’exiger 1200 frs d’avance de frais et d’exécuter le renvoi malgré la demande en cours. Il s’agit clairement ici d’un acharnement contre ceux qui tentent de faire valoir leurs droits!
Le DFJP veut interdire toute activité politique des candidats à l’asile en Suisse. Son argument? Ceux-ci cherchent à se faire remarquer des services secrets de leurs pays pour pouvoir se dire menacés en cas de renvoi.
Les requérants créeraient ainsi artificiellement des «motifs d’asile subjectifs postérieurs à la fuite». Ces exilés ne peuvent se désintéresser de ce qui se passe dans leur pays. Leur engagement leur est vital. En outre, devenir un militant en vue au sein de la diaspora n’est pas si facile. Pourquoi le DFJP ne s’en prend-il pas plutôt aux activités d’espionnage des services étrangers? A suivre ce raisonnement, viendra un jour où on expliquera aux opprimés dans leur propre pays qu’ils n’ont qu’à s’y tenir tranquilles.
Yves Brutsch
Des économies, vraiment?
Si les demandes d’asile dans des ambassades suisses à l’étranger sont en hausse, le Département des affaires étrangères (DFAE) est formel: la suppression des demandes d’asile ne représente aucune économie pour les ambassades: «Nous sommes de toute façon mis à contribution pour procéder à des vérifications dans le cadre des demandes d’asile déposées en Suisse» (Tribune de Genève, 20 septembre 2009). Cela expliquerait du coup la volonté de charger les demandeurs d’effectuer ce travail…
Pour l’année 2007, 2638 demandes hors sol ont été déposées. La Suisse est entrée en matière sur 200 de ces requêtes et les demandeurs ont rejoint le territoire à l’abri des menaces. Et ce sont les 2438 autres demandes, soumises à une procédure complète à l’ambassade, que Mme Widmer-Schlumpf voudrait économiser, arguant qu’elles ont peu de chances d’aboutir. Tant pis pour les 10% de vrais réfugiés en rade?