Population & sociétés | Les migrations subsahariennes, une forme ordinaire de mobilité humaine
François Héran publie une recherche qui permet de recontextualiser la projection supposée d’une « arrivée massive » de migrants subsahariens en Europe. Les Nations Unies ont en effet projeté qu’en 2050 la population subsaharienne représenterait le 22% de la population mondiale. Or, François Héran montre que cela ne se répercutera pas de manière proportionnelle sur leur présence en Europe. En effet, pour cause de pauvreté, peu sont ceux qui migrent. De plus, en cas de déplacements, les personnes se rendent majoritairement dans des pays limitrophes. Il s’agit donc en aucun cas de parler « d’invasion » mais davantage d’une « forme ordinaire de mobilité humaine ».
Nous reproduisons ci-dessous le début de l’article de François Héran « L’Europe et le spectre des migrations subsahariennes » portant sur cette recherche. Cet article est paru dans la revue Population et Sociétés, n°558, septembre 2018. Vous trouverez la version intégrale de l’article en pdf sur le site de L‘Institut national d’études démographiques (INED).
Le journal 24Heures du 12 septembre 2018 lui consacre également un article: « Migrants subsahariens: loin de l’explosion« .
Résumé de l’étude
L’Europe doit-elle se préparer à une « ruée » prochaine de migrants subsahariens ? Cette prophétie repose sur un modèle de vases communicants qui méconnaît trois données de base : 1/ comparée aux autres régions, l’Afrique subsaharienne émigre peu, en raison même de sa pauvreté ; 2/ lorsqu’elle émigre, c’est à 70 % dans un autre pays subsaharien ; 3/ si l’on intègre les projections démographiques de l’ONU, les migrants sub- sahariens occuperont une place grandissante dans les sociétés du Nord mais resteront très minoritaires : environ 4 % de la population vers 2050 – très loin des 25 % annoncés par certains.
L’Europe et le spectre des migrations subsahariennes
François Héran. Collège de France, Institut des Migrations et Institut national d’études démographiques.
L’Afrique subsaharienne devrait représenter 22 % de la population mondiale vers 2050 au lieu de 14 % aujourd’hui. Le nombre de migrants originaires de cette région devrait donc augmenter. Mais de combien et vers quelles destinations ? François Héran replace les migrations africaines dans le tableau mondial des diasporas. Il montre que le scénario pour 2050 d’une Europe peuplée à 25 % d’immigrés subsahariens ne tient pas la route. L’ordre de grandeur le plus réaliste est cinq fois moindre.
Tous les deux ans, la division de la Population des Nations- Unies actualise les projections démographiques des pays de la planète [1]. La révision de 2017 a confirmé l’envolée de l’Afrique subsaharienne : elle passerait de 970 millions d’habitants aujourd’hui à 2,2 milliards en 2050. Même dans l’hypothèse d’un recul de la fécondité de 5,1 enfants par femme à 3,2, le nombre de couples en âge d’avoir des enfants continuera d’augmenter, en raison de la natalité des décennies passées. Suivie de près par les démographes [2, 3], l’évolution de la fécondité en Afrique est éclairée par de multiples enquêtes, désormais intégrées dans les pro- jections de l’ONU. C’est ainsi que l’effectif de la population subsaharienne projeté pour 2050 a été relevé de 11 % dans la révision de 2012 et de 2 % dans celle de 2017.
Dans l’intervalle, la question de l’explosion démographique de l’Afrique a croisé un autre sujet brûlant : la « crise des migrants » [4]. La tentation était grande de les relier en annonçant que les Africains en surnombre se déverseraient à coup sûr sur la vieille Europe. Crainte attisée en France par le fait que les demandeurs d’asile venaient davantage du Soudan, de la Corne de l’Afrique ou de l’Afrique centrale que du Proche-Orient. Plus récemment, les jeunes Africains subsahariens bloqués au Maroc mais unissant leurs efforts pour forcer la clôture de l’enclave espagnole de Ceuta semblent, avec d’autres images, illustrer une pression migratoire irrésistible qu’il est tentant d’imputer à des causes plus démographiques que politiques.
Peut-on proclamer pour autant que « la jeune Afrique va se ruer sur le Vieux Continent », que « c’est inscrit dans l’ordre des choses » et qu’à ce rythme « un quart des habitants de l’Europe seront » africains » en 2050 », voire « plus de la moitié des moins de trente ans » [5, p. 15 et 180] ? Ces annonces fracassantes reposent sur un modèle de vases communicants qui méconnaît trois données de base : 1/ comparée aux autres régions, l’Afrique subsaharienne émigre peu, en raison même de sa pauvreté ; 2/ lorsqu’elle émigre, c’est à 70 % dans un autre pays subsaharien et à 15 % seulement en Europe, le reste se répartissant entre les pays du Golfe et l’Amérique du Nord ; 3/ si l’on intègre la croissance démographique projetée par l’ONU, les migrants subsahariens auront beau occuper une place grandissante dans les sociétés du Nord, ils resteront très minoritaires : tout au plus 3 % à 4 % de la population vers 2050 – très loin des 25 % redoutés. […]
Vous pouvez lire la suite de cette article sur le site de l’INED en cliquant ici.