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Notre regard

Politique | Détention administrative des enfants. Non c’est non!

La détention administrative d’enfants, seuls ou accompagnés de leurs parents, en vue de leur renvoi forcé est une réalité en Suisse. La loi sur les étrangers permet la mise en détention des enfants de quinze à dix-huit ans, un point ardemment combattu lors des référendums – perdus – de 1994 et 2006. En revanche, elle interdit celle des enfants de moins de quinze ans. Or, même ce cadre légal n’est pas toujours respecté. Plusieurs rapports l’ont révélé ces derniers mois, suscitant des justifications plus que sidérantes de la part des autorités.

Photo: Gustave Deghilage. « Je suis une enfant comme les autres, j’ai les mêmes droits ! », revendique la fillette sur la pancarte. Le 20 novembre, à l’occasion de la journée internationale des droits de l’enfant, avait lieu à Lausanne une manifestation contre les renvois forcés d’enfants et les atteintes à leurs droits. Tous étaient réunis pour soutenir un message commun : les enfants migrant-e-s sont des enfants avant tout.

La Commission nationale de prévention de la torture (CNPT) a observé les renvois de 317 personnes entre avril 2017 et mars 2018. Sur cet échantillon, il y avait 28 familles et 28 enfants. Trois familles ont été placées dans un établissement de détention administrative ou géré par la police [1]. De son côté, le Conseil fédéral a reconnu la détention, rien que pour 2016, de cinq enfants de moins de quinze ans avec leur famille [2].

Ces pratiques sont choquantes et contraires au droit. Les autorités tentent de les justifier en les relativisant. Elles seraient toujours effectuées « à titre exceptionnel », «pour des durées de détention les plus brèves possible », « parce que la famille s’est opposée à une précédente tentative de renvoi », etc. Les autorités vont parfois jusqu’à prétendre que l’enfermement d’enfants pourrait être dans leur intérêt, pour éviter une séparation de leur parent: « Le bien de l’enfant a été invoqué pour justifier cette pratique,même si certains interlocuteurs ont estimé que sa légalité était discutable » [3]. La CNPT est pourtant claire à ce sujet « l’impératif de ne pas priver un enfant de sa liberté doit s’étendre à ses parents, et implique l’adoption de mesures alternatives par les autorités au profit de toute la famille». Quand est-ce que les autorités comprendront que la détention administrative des enfants est inadmissible, point final ?

En juin dernier, la Commission de gestion du Conseil national (CdG) a jeté un pavé dans la mare en publiant un rapport qui recadre la pratique des cantons et rappelle à la Confédération qu’elle est censée exercer une surveillance dans ce domaine [4]. En réponse à ce rapport, le Conseil fédéral a rédigé un avis. Lui aussi empreint de formules relativistes, il n’en reste pas moins clair sur certains points, comme l’illégalité du recours aux cellules familiales. Extrait: «Les bases légales ne sont pas suffisantes pour ce type d’hébergement [sic !]. Le SEM demandera donc aux cantons de ne pas placer des mineurs de moins de 15 ans dans des établissements de détention administrative et d’étudier d’autres possibilités d’exécution du renvoi des familles ».

Malheureusement, les autorités semblent tellement décidées à expulser des familles qu’elles mettent en place des alternatives à la détention qui n’en sont pas, comme le renvoi dit « échelonné ». Traduction: la famille est séparée et renvoyée en deux temps. Cette pratique, bien que prévue par la loi [5], est inhumaine. La CNPT a par exemple observé un cas dans lequel une mère et trois enfants ont été expulsés sans le père et l’aînée de la famille, car cette dernière se trouvait en camp de vacances au moment de l’arrestation… La Commission évoque des situations génératrices d’«angoisse». On peut, sans trop s’avancer, parler de traumatismes.

Pour l’heure, retenons qu’aucun enfant ne doit être mis en détention pour des raisons administratives et que ce principe est absolu. La CNPT « juge inacceptable un placement de plus de quelques heures pour une famille avec mineur(s) dans un établissement pénitentiaire. La Commission rappelle qu’un établissement pénitentiaire ou un poste de police ne constituent pas un environnement approprié pour des enfants.»

Finalement, si les lieux de détention proprement dits ne sont pas faits pour les enfants, ne devrait-on pas aussi étendre la réflexion à d’autres régimes assimilables à de la détention et se demander s’ils sont vraiment adaptés ? Au moment d’écrire ces lignes, les cas de quatre familles kurdes avec enfants, enfermées dans la zone de transit de l’aéroport de Zurich depuis plus de 50 jours, défrayaient la chronique. De même, les conditions de vie dans les centres fédéraux d’asile, approchant celles de la détention, méritent aussi une attention soutenue sous l’angle des droits des enfants, puisque des mineurs seuls et des familles avec petits enfants devront désormais y passer jusqu’à quatre mois.

ALDO BRINA
Chargé d’information sur l’asile au CSP

[1] Rapport au DFJP et à la CCDJP relatif au contrôle des renvois en application du droit des étrangers, Commission nationale de prévention de la torture, 26 avril 2018
[2] Avis du Conseil fédéral sur le Rapport de la Commission de gestion du Conseil national du 26 juin 2018, Conseil fédéral, 2 octobre 2018
[3] Détention administrative de requérants d’asile, Rapport du Contrôle parlementaire de l’administration à la Commission de gestion du Conseil national, 1er novembre 2017
[4] Détention administrative de requérants d’asile, Rapport de la Commission de gestion du Conseil national, 26 juin 2018
[5] Article 34 de l’Ordonnance sur l’asile 1 et futur article 26f de l’Ordonnance sur l’exécution du renvoi et de l’expulsion des étrangers