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Notre regard

Carnet de bord croisé | La piscine / mars 2017 [8/9]

Chaque jour, du 10 décembre, Journée des droits humains, au 18 décembre, Journée internationale des migrants, Vivre Ensemble vous offre un extrait du livre Carnet de bord croisé, de Marion Dinart. Une façon de vivre le calendrier de l’Avent à travers le récit inspiré de l’accueil d’un jeune migrant non accompagné au sein d’une famille urbaine occidentale. S’y entremêle le périple de celui-ci de l’Érythrée jusqu’en Suisse. L’auteure raconte les fossés, les écueils, les fous-rires et les dimensions transculturelles de la rencontre jusqu’à l’intime de sa vie familiale. Présenté sous forme d’un écrit à quatre mains, il retrace quatre ans d’une incroyable aventure.

L’auteure Marion Dinart est née en 1972 et vit actuellement en Suisse. Active professionnellement dans le domaine de la santé, elle a précédemment vécu plus de quatre ans en mission à l’étranger, en Afrique et en Amérique latine, dans des projets de développement et de coopération. Carnet de bord croisé est son premier récit. 

Marion Dinart, Carnet de bord croisé, L’Harmattan, 2019, 20 CHF. Actuellement disponible à la Librairie du Boulevard, ainsi qu’à La Librerit. Peut-être commandé dans toutes les librairies ou en version électronique sur ce lien (10 euros)

(…) Aujourd’hui, nous nous rendons à la piscine. En principe, l’objectif d’une pareille sortie est de se baigner, nager ou jouer dans l’eau. C’est sans compter les étapes qui précèdent l’approche du bassin.

Sans nous en rendre compte, nous avons appris à nos enfants comment procéder pour franchir les multiples obstacles qui nous séparent de l’eau lorsque nous sommes à la caisse de l’entrée. À le faire avec nous depuis des années, nos petits se sont imprégnés de cette approche méthodique et rigoureuse : une fois le bracelet d’entrée au poignet, on le valide au tourniquet, puis on choisit son vestiaire en entrant par une porte, bloquant son ouverture avec la descente du banc qui empêche toute intrusion et l’on ressort, une fois changé, par l’autre porte. Là, on doit être déchaussé, et pour cela, on porte à la main sa paire de chaussures en plus des vêtements fraîchement ôtés. Sans semer quelque habit, on cherche alors un casier, dont le numéro nous est attribué par l’une des petites fenêtres automatisées au bout de couloir. Avant que le casier ne bloque car le temps est échu, on y glisse le tout, on le referme et on prend l’accès « bassin » qui correspond à notre sexe, en passant par la case « douche obligatoire ».

Cet accès labyrinthique est une réelle course d’obstacles pour Nataniel, qui au vu de son âge, se change évidemment seul dans une cabine et que l’on ne retrouve plus ensuite. À force d’appels et de bruitages, nous sommes à nouveau réunis pour nous rendre à la prochaine étape, mais il manque une paire de chaussures, restée dans la cabine de change. Mais quelle cabine était-ce ? Le temps de la chercher, les chaussures ont été déposées aux objets trouvés par une nettoyeuse bienveillante. Je ne poursuis pas en détail cette scène qui paraitrait grotesque si elle n’était pas tant cynique.

L’exemple de la piscine peut faire sourire, mais le quotidien d’un jeune descendu d’un bateau, issu d’un village et projeté dans nos villes est jonché d’obstacles trop nombreux pour paraître encore logiques. Jour après jour, c’est toute l’énergie du jeune qui est déployée à rester vigilant et attentif à ces «pièges» occidentaux qui grignotent son attention et sa concentration. Ce doit être épuisant de se concentrer sur l’usage de l’ascenseur, d’une porte ou d’une serrure. Et je comprends aisément pourquoi l’apprentissage des codes sociaux avec les messages non-verbaux qu’ils comportent lui échappe encore souvent.

Aux côtés de Nataniel, j’ai pris conscience du nombre de gestes ou de manipulations «semi-automatiques» que nous effectuons quotidiennement sans n’avoir plus besoin de réfléchir. Nos enfants s’en sont imprégnés car depuis tout petits ils nous voient faire, nous imitent puis font seuls. Pour eux aussi, cela semble si évident. C’est très différent lorsqu’un jeune, presque adulte mais pas tout à fait, s’y essaie pour la première fois.

C’est aux adultes accompagnants de nommer et verbaliser les séquences de gestes nécessaires à la réalisation d’une tâche. Or ces adultes, dont je suis, n’ont pas à l’esprit ce besoin et considèrent que « cela est simple ».Cela ne l’est pas. Et le jeune fait tout pour que cela ne se voie pas. Pourtant, pour lui, il faut que l’adulte mette des mots, décrive, explique, mime.

L’adulte accompagnant doit apprendre à nommer clairement les choses, les actes, les gestes, au-delà des tabous culturels, de la gêne ou des agacements. (…)

Vous trouverez dans le prochain Vivre Ensemble notre recension du livre, ainsi que divers ouvrages à offrir ou à s’offrir. Les extraits des chapitres à retrouver sur asile.ch:

Bon de commande: Carnet de bord croisé