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Notre regard

Interruption brutale de l’apprentissage. Un coût inutile pour les cantons

Le rejet de la demande d’asile doit-il encore entraîner l’interruption d’un apprentissage ? Le Conseil des États aura à nouveau à se pencher sur cette question lors de sa session de printemps. On s’en souvient, en décembre 2020, la pétition de l’association Un apprentissage Un avenir avait été adoptée par plus des deux tiers du Conseil national. Le Conseil des États l’avait ensuite refusée. Poursuivant des buts similaires, la motion Grossen (19.4282) revient à la charge. « Ne plus contraindre les personnes bien intégrées dont la demande d’asile a été rejetée à interrompre leur apprentissage » pose une question de société. Un grand nombre de citoyennes et de citoyens, de responsables d’entreprises formatrices sont en effet choqué·es de voir de jeunes personnes prometteuses être brutalement stoppées dans leur apprentissage.

La motion Grossen a recueilli un large soutien du Conseil national lors de sa session d’automne (118 oui; 71 non et 3 abstentions), mais risque de se voir opposer les mêmes arguments au Conseil des États que ceux développés par le Conseil fédéral en 2021.

Contrairement à ce qui avait alors été indiqué aux Chambres lors des débats, notamment par la Conseillère fédérale Karin Keller Sutter, la situation n’est ni réglée par la nouvelle procédure d’asile[1]Rien ne change au niveau des levées d’admission provisoire, toujours prévues dans la loi sur l’asile., ni par les demandes individuelles de cas de rigueur entre les cantons et la Confédération.

Il ne s’agit pas davantage de cas isolés.

Des centaines d’apprenti·es et d’entreprises concernées

En effet, bien que les pratiques cantonales diffèrent, la tendance est au durcissement généralisé. Pour les années 2018-20 et en l’absence de chiffres du Conseil fédéral ou du SEM, une estimation prudente évalue à environ 600 – 800 le nombre d’apprenti·es condamné·es à l’oisiveté pour l’ensemble de la Suisse[2]Une soixantaine de personnes dans le canton de Genève qui ont dû interrompre ou n’ont pu débuter un apprentissage; près de 200 personnes dans le canton de Berne. Cerise sur le gâteau, les jeunes concerné·es, qui pour certain·es étaient presque indépendant·es financièrement, doivent requérir l’aide d’urgence, essentiellement à la charge des cantons.

Crédit photo: Sasha Freemind, Unsplash

Imposer l’oisiveté a un coût

Sans pouvoir évaluer le coût humain et social d’une mesure visant à empêcher des personnes de se former et de s’intégrer, on peut évaluer le coût financier de cette situation. Si l’on se base sur environ 600 apprenti·es empêché·es de se former et de travailler, sous déduction de la participation de la Confédération, ce sont près de 34 millions de francs qui seront mis à la charge des cantons sur une période de trois ans[3]Évaluation du coût moyen pour les cantons sur trois ans, basé sur le coût quotidien selon le SEM CHF 52.- x 600 apprentis x 365 jours moins les 600 x CHF 6000.- (forfait de la Confédération par … Lire la suite.

Et encore, cette estimation prudente ne prend-elle pas en compte les incertitudes liées aux pays d’origine des personnes concernées. Ainsi, des jeunes originaires d’Érythrée, d’Afghanistan, d’Irak, d’Iran, de Chine, par exemple où les renvois ne sont que peu imaginables à court terme. Ces jeunes contraint·es à l’oisiveté et à recourir à l’aide d’urgence pourraient être utiles à la société.

Corriger une erreur

Alors que nombre de branches de l’économie, d’entreprises formatrices peinent à recruter des employé·es, que la crise sanitaire révèle des tensions inconnues jusqu’alors sur le marché du travail, la situation actuelle avec l’interruption immédiate de l’apprentissage n’est plus admissible. Les cantons n’ont aucun intérêt à encourager cette pratique, dont ils sont seuls à assumer les conséquences, parfois sur plusieurs années. Si cette situation aberrante économiquement et socialement doit être située dans le contexte de sa mise en œuvre, nous devons encourager le Conseil des États à ne pas persévérer dans cette voie et à accepter la motion Grossen.

Daniel Traub
pour l’association Un Apprentissage – Un Avenir

Notes
Notes
1 Rien ne change au niveau des levées d’admission provisoire, toujours prévues dans la loi sur l’asile.
2 Une soixantaine de personnes dans le canton de Genève qui ont dû interrompre ou n’ont pu débuter un apprentissage; près de 200 personnes dans le canton de Berne
3 Évaluation du coût moyen pour les cantons sur trois ans, basé sur le coût quotidien selon le SEM CHF 52.- x 600 apprentis x 365 jours moins les 600 x CHF 6000.- (forfait de la Confédération par décision)