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Le Courrier | La Suisse comme une impasse

Les étudiant·es étrangers·ères ayant fui l’Ukraine pour venir se réfugier en Suisse peinent à s’y établir, sans que d’autres alternatives s’ouvrent. Ils et elles ne sont à priori pas éligibles au permis S en cas de possibilité de retour « vers leur pays d’origine en toute sécurité et de manière durable ». « D’origine », ces pays n’en ont pour beaucoup que le nom et souvent ne permettraient pas la poursuite des études entamées en Ukraine. Les associations Society Moko et Save Africans Ukraine se mobilisent pour faire reconnaître le droit à une permis de séjour à ces personnes également. Cette dernière est à l’origine d’une lettre signée par 40 professeur·e d’université suisses demandant de garantir l’accueil des ces étudiant·es le temps de la guerre au moins. L’article de Sophie Dupont « La Suisse comme une impasse » a été publié le 11 mai 2022 dans le quotidien le Courrier. La mise à disposition de cet article ne doit pas faire oublier que l’information a un coût et que le soutien à la presse indépendante est nécessaire.

La tribune des professeur·es des universités et hautes écoles suisses est hébergée sur le site de Save Africans Ukraine.

La Suisse comme une impasse

Les ressortissant·es d’Etats tiers qui fuient l’Ukraine se voient refuser une protection.

Les ressortissants d’Etats tiers qui ont fui la guerre en Ukraine n’ont pour la plupart pas les mêmes droits que ceux qui ont un passeport ukrainien. Parmi eux, beaucoup sont originaires d’Afrique et du Moyen-Orient. Certains y travaillaient, beaucoup y étudiaient et cherchent aujourd’hui à terminer leurs études en Europe. Problème: sans passeport ukrainien, s’ils sont originaires d’Etats considérés comme sûrs, ils n’ont pas accès au statut S et on leur propose une procédure d’asile ordinaire.

«Ces personnes subissent une double discrimination. Beaucoup d’afrodescendants ont eu de la peine à quitter l’Ukraine et il a été très compliqué pour eux d’arriver jusqu’ici sans passeport ukrainien. En Suisse, ils sont traités différemment alors qu’ils fuient la même guerre», dénonce Chancel Soko, de l’association Society Moko. Les étudiants ne souhaitent pas demander l’asile, mais terminer leurs études.

Courrier sans réponse

L’association a envoyé deux lettres au Conseil fédéral datées du 14 et du 26 avril pour demander un traitement adéquat de toutes les personnes fuyant l’Ukraine. Le courrier est jusqu’ici resté sans réponse.

Mardi, le conseiller national vert Fabien Fivaz a déposé une interpellation, dénonçant un traitement arbitraire. «C’est comme si en cas de guerre dans notre pays, nos voisins refusaient d’accueillir le quart de la population suisse qui n’a pas la nationalité», illustre-t-il. Le conseiller national neuchâtelois juge qu’un statut S devrait être délivré à toute personne fuyant l’Ukraine, indépendamment de son passeport.

Autre démarche, une quarantaine de professeurs d’université ont signé une tribune pour demander au Conseil fédéral de garantir l’accueil des étudiants des Etats tiers dans les hautes écoles suisses pour la durée de la guerre. «En proposant à ces étudiants de faire une procédure d’asile ordinaire, la Suisse leur demande de démontrer qu’ils sont menacés dans leur pays d’origine. Mais eux veulent juste terminer leurs études», explique Etonam Ahianyo, pour l’association Save Africans Ukraine, qui coordonne la démarche.

L’équivalent des études commencées en Ukraine n’existe souvent pas dans leur pays d’origine, où un diplôme européen est précieux. L’association propose que des permis B étudiants soient délivrés, le temps qu’ils finissent leurs études.

Photo by Redd on Unsplash

Drissa*, s’est retrouvé dans une procédure d’asile sans le vouloir. Il faisait un master spécialisé en cybercriminalité en Ukraine, quand la guerre a éclaté. «Une connaissance établie en Suisse m’a dit que le pays accueillait les déplacés d’Ukraine et que j’obtiendrai un statut», raconte l’étudiant originaire d’Afrique de l’Ouest.

Au centre fédéral de Boudry (NE), on l’informe oralement qu’il n’est pas éligible pour le statut S et il est redirigé vers une procédure d’asile ordinaire. «Ils m’ont pris mon passeport, ma carte de séjour ukrainienne. Comme je suis passé par la Pologne, la Suisse a fait une demande pour que je sois renvoyé là-bas (en vertu des accords Dublin, ndlr). Si la Pologne refuse, le Secrétariat d’Etat aux migrations traitera ma demande d’asile», ­explique-t-il.

Arrivé le 17 mars à Boudry, Drissa a été envoyé à Chiasso, puis dans un autre centre au Tessin et enfin à Sarnen (OW). Il n’a aucune idée à quoi s’attendre concernant sa demande d’asile.

«Je souhaiterais juste être ­protégé pour ­finir ma ­formation»

Drissa*

«Je souhaiterais juste une protection qui me permette de finir ma formation. Dans le pays où je vivais avec ma famille avant d’arriver en Ukraine, il n’y a pas de cursus en cybercriminalité», souligne-t-il. Il a écrit à l’Université de Neuchâtel pour poursuivre ses études, sans avoir reçu de réponse à sa demande. «Au centre de Sarnen, j’essaie de me rendre utile, je participe aux travaux qu’on nous propose, nettoyages, coupe d’herbe. Je passe aussi beaucoup de temps à réviser mes cours pour ne pas perdre le niveau.»

Sur les 45 475 statuts S accordés jusqu’ici, 2% l’ont été à des personnes n’ayant pas la nationalité ukrainienne. C’est possible pour les membres de la famille de ressortissants ukrainiens, pour celles qui avaient un statut de protection en Ukraine et pour les personnes qui ne peuvent pas retourner dans leur pays d’origine en toute sécurité et de manière durable.

«Si une personne n’obtient pas le statut S, elle n’est pas redirigée automatiquement vers la procédure d’asile mais elle peut faire une demande d’asile, comme toute personne quelle que soit sa nationalité», indique Anne Césard, porte-parole. Le SEM réfute que les personnes qui n’ont pas obtenu de statut S se voient adresser des interdictions d’entrée dans l’espace Schengen, comme l’a dénoncé Society Moko.