Jeunes débouté·es de l’asile: le coût économique de l’interdiction de travailler
Mandatée par le Centre social protestant Genève et Vivre Ensemble, une étude universitaire a évalué le manque à gagner pour la collectivité genevoise que représente l’interdiction de travailler faite aux jeunes personnes déboutées de l’asile. Sa conclusion : entre coûts de l’aide d’urgence et absence de salaire, sur quelque 32 jeunes vivant dans le canton, ce sont 13 millions de francs sur 10 ans de pertes sèches pour l’économie genevoise. Une estimation minimale. En publiant cette étude, nos associations souhaitent encourager les autorités du Canton de Genève à s’appuyer sur ses conclusions pour mettre en œuvre une politique pragmatique et humaine, à l’instar de celle menée par d’autres cantons suisses.
Aujourd’hui, une trentaine de personnes « déboutées de l’asile » âgées de 18 à 24 ans vivent à Genève. Pour beaucoup, le rejet de leur demande d’asile est survenu après plusieurs années de scolarité et d’intégration. Au terme de leur première formation, elles se sont vues interdites de travailler ou d’entamer un apprentissage dual. D’autres, arrivées après 19 ans, n’ont ni pu commencer de formation post-obligatoire ni eu accès au marché du travail. Pour toutes, le quotidien est celui de l’aide dite « d’urgence » − une aide à la survie de 10 CHF par jour et un logement précaire – dont la durée est indéfinie en raison d’un renvoi généralement inexécutable.
Le chercheur Julien Massard, de l’Institut de recherche appliquée en économie et gestion (Université de Genève et Haute école de gestion), a cherché à estimer le manque à gagner que représente cette situation pour la collectivité. En se fondant sur une méthodologie prudente, sous la supervision des professeurs Giovanni Ferro-Luzzi et Tobias Müller, il a établi trois parcours types de formation et d’entrée sur le marché de l’emploi. En affinant ses calculs, l’économiste a pu estimer deux types de coûts : le coût direct du système d’aide d’urgence et le coût d’opportunité, c’est-à-dire le manque à gagner de l’inactivité́ de cette jeune main- d’œuvre pour l’économie genevoise. Cumulés, ces deux coûts atteignent 13 millions de francs sur dix ans. Et c’est un minimum : le calcul concerne les 32 personnes actuellement présentes dans le canton. Or, il est probable que d’autres personnes se retrouveront dans la même situation dans les années à venir. Les calculs ne comprennent pas non plus les effets collatéraux de l’aide d’urgence que sont les atteintes à la santé, notamment psychologiques, et leurs coûts, difficilement calculables.
Cela fait plusieurs années que nos associations mènent un combat juridique et politique pour que les jeunes personnes déboutées puissent poursuivre la formation de leur choix, avoir accès au marché de l’emploi et être régularisées. Cette étude vient confirmer le constat que nous martelons depuis des années : l’impasse dans laquelle se trouvent ces jeunes est aussi coûteuse pour elles que pour la collectivité.
D’autres cantons ont dernièrement mis en place une politique qui prend en compte les réalités de ces jeunes. Notamment Fribourg et son programme FriRAD, mis sur pied en octobre 2022 « en vue d’extraire de ce statu quo stérile certaines situations qui présentent un potentiel d’intégration suffisant » (Rapport d’activité 2022 du Conseil d’État fribourgeois, p. 45).
Au vu des résultats de cette étude et de l’expérience menée dans le canton de Fribourg, nous invitons les autorités genevoises à changer de paradigme et à autoriser les jeunes personnes déboutées à se construire un avenir en Suisse.
Dossier de presse
L’étude de l’IREG
Évaluation du coût économique pour le canton de Genève lié à l’interdiction de travailler des jeunes personnes déboutées de l’asile, Juin 2023
Recherche réalisée par Julien Massard, étudiant en master de socioéconomie à l’Université de Genève;
Supervisé par Giovanni Ferro-Luzzi, directeur de l’Institut de recherche appliquée en économie et gestion (IREG)
et Tobias Müller, professeur associé à l’Institut d’économie et d’économétrie de l’Université de Genève
sur mandat du CSP Genève et de Vivre Ensemble
Communiqué de presse et documentation relative
Témoignages de Habtom, Shewit et Deke
Trois jeunes personnes déboutées nous ont fait l’honneur de venir témoigner de leur vécu durant cette conférence de presse. Faisant figure d’exceptions, ils et elles ont réussi à accéder à une formation CFC ou universitaire malgré les obstacles. Leur partage offre une perspective humaine et personnelle venant suppléer aux aspects économiques avancés par l’étude universitaire.
Ces témoignages sont à écouter et réécouter sur notre site.
« Pendant l’apprentissage c’était un peu difficile parce que entre-temps je recevais des lettres comme quoi je devais quitter la Suisse » – Habtom / 13.06.2023
« Soit tu fais rien et tu restes à la maison, soit tu continues à te battre en espérant que tu vas réussir » Shewit / 13.06.2023
« Plus je grandissais plus je me rendais compte qu’il y avait des obstacles qui apparaissaient » Deke / 13.06.2023
Échos de la conférence de presse
Sylvia Revello, Le Temps, 13.06.2023
« Jeunes requérants déboutés, un gouffre humain et financier pour Genève »
Centre social protestant Genève, 13.06.2023
« Jeunes débouté·es: le coût économique de l’interdiction de travailler«
Christiane Pasteur, Le Courrier, 13.06.2023
« Le prix de l’interdiction de travailler«
Miguel Hernandez, Radio Lac, 13.06.2023
« Jeunes requérants déboutés: un manque à gagner de 13 millions pour l’Etat«
Aurélie Toninato, Tribune de Genève, 13.06.2023
« Interdire aux jeunes déboutés de travailler coûte des millions »
20Minutes, 13.06.2023 « Jeunes déboutés de l’asile: le paradoxe qui coûte des millions«