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Préjugés

Profit ? Conditions de vie et aide sociale

Précarisation des conditions d’existence

Dans le système de l’aide d’urgence, les personnes sont généralement hébergées dans des logements rudimentaires, au confort minimal, comme des abris de la protection civile, des infrastructures militaires, des conteneurs ou des centres d’accueil, souvent éloignés des centres urbains. Si les conditions de vie des personnes soumises à l’aide d’urgence peuvent être différentes selon les cantons (voir encadré), elles sont de manière générale extrêmement précaires et volontairement décourageantes.

L’aide d’urgence dans les cantons, quelques exemples +

À Fribourg, la Coordin’action Poya Solidaire et Droit de rester mènent depuis de nombreuses années des actions afin de rendre visible la réalité des personnes déboutées vivant dans des foyers d’aide d’urgence. Elles décrient notamment les conditions dans lesquelles vivent ces personnes, ainsi que leurs conséquences sur la santé physique et psychique. En 2020, le (non-)accès aux mesures de prévention liées à la pandémie était notamment dénoncé (voir Poya Solidaire, « Pas de distance sociale dans les foyers », Vivre Ensemble, mars 2020).

Des voix critiques n’ont cessé face aux conditions de vie dans les foyers d’hébergement collectifs vaudois (voir par exemple le rapport de Karine Povlakic publié en 2011 : « Les centres pour requérants d’asile sur le canton de Vaud »). En 2018, l’Alliance pour la défense des enfants migrants (ADEM) a notamment rappelé l’importance d’offrir aux familles avec enfants des logements adaptés à leurs besoins, qui respectent leur vie privée et familiale.

Dans le canton de Soleure, les personnes à l’aide d’urgence sont hébergées dans des conditions insoutenables physiquement et psychologiquement. En 2019, les associations IGA SOS Racisme et Solidarité sans frontières tiraient la sonnette d’alarme en dénonçant la violation des droits humains les plus élémentaires (voir : SOSF/IGA SOS Racisme, « Le régime d’aide d’urgence doit être aboli », Vivre Ensemble, février 2019).

Dans le canton de Berne, le centre de Bözingen (Boujean en français) fait l’objet d’innombrables critiques. Constitué de containers situés dans une zone industrielle à proximité d’une autoroute, il offre des conditions d’existence inacceptables. Ses habitant·es – de nombreuses familles avec enfants – sont complètement isolé·es et ne bénéficient d’aucune mesure pour le travail ou l’éducation. Alors que les descentes de police mettent les nerfs à rude épreuve, nombreux·ses sont celles et ceux qui ont une santé physique et psychique fragile (voir : Laura Drompt, « L’inhumain au centre », Le Courrier, 23 juillet 2020).

Les conditions de vie dans l’abri PC de Camorino, dans le canton du Tessin, sont décriées depuis de nombreuses années. Au-delà de son insalubrité générale, ce centre d’urgence souterrain, dont l’accès est interdit aux résidents pendant la journée, présente un système d’aération extrêmement vétuste rendant les périodes de canicule insoutenables. Le collectif R-Esistiamo et le centre social Il Molino ont régulièrement appelé à la fermeture du centre (voir : RSI News, « Camorino si manifesta », 25 juin 2019).

Les personnes à l’aide d’urgence sont quotidiennement sujettes à des contrôles et à des formes de surveillance, mais aussi à l’attente et à l’insécurité permanente liée à l’angoisse d’un renvoi. Privées d’accès au travail et d’argent liquide, leurs journées s’organisent principalement autour de deux activités principales : dormir et manger. La distribution de nourriture à heures fixes ponctue ces journées dont la temporalité élastique semble s’étirer à l’infini. À l’entrée des lieux d’hébergement, des gardes fouillent les sacs et contrôlent les identités. 

Contrairement aux personnes demandeuses d’asile en procédure ou aux personnes admises provisoirement, les bénéficiaires de l’aide d’urgence n’ont pas le droit de travailler et sont exclu·es de toutes les offres d’intégration.

En outre, les personnes à l’aide d’urgence sont soumises à de nombreuses tracasseries et pressions administratives. En effet, l’aide d’urgence est inconditionnelle, mais doit être demandée. Dès lors, elles doivent renouveler la demande tous les 5 à 15 jours et se présenter très régulièrement aux différents offices cantonaux de contrôle et de délivrance de l’aide. Elles sont ainsi régulièrement amenées à se confronter à des fonctionnaires qui sont eux-mêmes sommé·es de rappeler aux requérant·es d’asile débouté·es leur devoir de quitter la Suisse.

Un régime hautement contesté +

Dès sa mise en place, le régime de l’aide d’urgence a été contesté. « L’aide d’urgence : une voie sans issue » : c’est avec ce slogan que plusieurs ONG actives dans le domaine de l’asile en avaient exigé sa réforme en 2011. En raison des conditions d’existence inhumaines qui caractérisent le quotidien des personnes à l’aide d’urgence et des effets non négligeables sur leur santé mentale et physique, l’Observatoire suisse du droit d’asile et des étrangers a également appelé en 2019 à la révision de ce système d’aide. Publié en 2019, un rapport de la Commission fédérale des migrations fait également le constat d’une situation particulièrement problématique, en particulier pour les personnes qui vivent longtemps* sous le régime de l’aide d’urgence. 

Le rapport de la CFM évoque également la problématique particulièrement sensible des « disparitions », c’est-à-dire des personnes déboutées décidant d’entrer dans la clandestinité afin d’éviter d’être expulsées et/ou ne plus dépendre des autorités. On rappellera à ce titre que les « disparitions » découlent en partie aussi d’un système pervers incitant les cantons – qui assument les coûts liés aux séjours des personnes à l’aide d’urgence – à pousser ces dernières au départ, que ce soit du territoire ou vers la clandestinité, pour des raisons financières. En effet, en régulant (à la baisse) les forfaits versés aux cantons, la Confédération encourage les cantons à durcir leur pratique en matière de renvoi (lire aussi « Les incitations financières au renvoi et à la clandestinité. Le coût de l’humanité » dans le numéro 173 de Vivre Ensemble, juin 2019). Accompagnée d’une baisse conséquente des indemnités fédérales, l’entrée en vigueur de la nouvelle loi sur l’asile en 2019, et notamment de la procédure accélérée, semble d’ailleurs avoir accentué le phénomène des « disparitions » (voir également cette brève de l’ODAE).

Les recommandations visant à une adaptation (voire l’abolition) du régime de l’aide d’urgence sont nombreuses : levée de l’interdiction de travailler, délivrance d’une carte d’identification, autorisation de participer à des cours de langue et à des programmes d’occupation, ou encore examen systématique et actif en vue de l’octroi d’une autorisation de séjour pour cas de rigueur pour les personnes qui correspondent aux critères de régularisation. (Voir aussi « Aide d’urgence – Recommandations à la Suisse » sur la plateforme humanrights.ch.)

*C’est-à-dire plus d’une année, étant donné que cette aide n’est pas conçue pour être une solution durable. La durée moyenne de perception en Suisse est de 53 jours (SEM 2020).

Enfants, familles et personnes vulnérables à l’aide d’urgence

Le système d’aide d’urgence est d’autant plus inacceptable qu’il concerne souvent des familles avec enfants et des personnes vulnérables ayant des besoins particuliers, comme le révélait par exemple dans la presse Walter Leimgruber (« Bieler Tagblatt» et « Der Bund »). Le président de la Commission fédérale des migrations pointait notamment du doigt la situation de peur permanente dans laquelle vivent les mineur·e·s au sein des foyers d’aide d’urgence. 

La question de la formation des jeunes débouté·e·s de l’asile soulève également des critiques, du fait notamment que de nombreuses personnes en cours d’apprentissage recevant une décision négative voient leur formation interrompue.

Plusieurs organisations actives dans le domaine de l’asile ont pris position quant aux droits de l’enfant dans les procédures de droit d’asile et des personnes étrangères, notamment le HCR, l’OSAR et l’ODAE Suisse. Ces acteurs·trices appellent à ce que les pays d’accueil accordent une attention particulière à cette population vulnérable et à la prise en considération systématique de l’intérêt supérieur de l’enfant. 

En collaboration avec la Coordination asile.ge, l’ODAE romand a récemment publié un rapport sur la situation des jeunes débouté·es à Genève. (Voir aussi les témoignages recueillis à l’occasion de l’événement « À cause du ‘papier blanc’ je ne peux pas réaliser mon rêve ».)

La plateforme humanrights.ch a également publié un article critique consacré aux enfants à l’aide d’urgence. Il montrait notamment que la proportion des mineurs parmi les bénéficiaires de l’aide d’urgence s’élevait en 2014 à près de 15%.

Références et liens +

CFM (2019). Personnes sortant du système d’asile. Profils, itinéraires (ou échappatoires), perspectives, Berne, Commission fédérale des migrations.

Del Biaggio, Cristina & Sophie Malka, « Hébergement : médias et public enfumés par la rhétorique de la hausse des demandes », Vivre Ensemble, 151, février 2015.

De Coulon, Giada (2019). L’illégalité régulière. Ethnographie du régime de l’aide d’urgence en Suisse, Lausanne, Antipodes. (Voir aussi « ‘L’illégalité régulière’ ou l’ambiguïté ordinaire du régime de l’aide d’urgence » dans le n°154 de Vivre Ensemble, septembre 2015.)

Povlakic, Karine (2011). Suppression de l’aide sociale : un instrument de contrainte. L’aide d’urgence, ou le grand retournement. Éditions d’en bas & SAJE, Service d’aide juridique aux Exilé·e·s. (Voir aussi « Les centres pour requérants d’asile sur le canton de Vaud » sur la plateforme asile.ch ; « NEM en terre vaudoise : de la mise en boîte », Vivre Ensemble, 112, avril 2007 ; « Aide d’urgence : un instrument de contrainte discriminatoire » sur humanrights.ch.)