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Notre regard

COS | Accompagner les parents pour aider les enfants

Mélanie Trèves & Vladimira Ivanova*

Dans notre précédente édition, nous soulignions les conséquences cachées du manque de solution de garde pour les femmes issues de l’asile. Le témoignage de Carrefour orientation solidarité (COS), qui accueille des familles migrantes avec enfants en bas âge, souligne combien cette lacune pèse aussi sur le couple, le bien-être de l’enfant et sur le processus d’intégration au sens large. (réd.)

La recherche a montré que l’arrivée d’un nouvel enfant et les premières années de vie sont une période particulièrement éprouvante pour les parents en tant qu’individus, mais également en tant que couple. Les tensions liées au changement sont amplifiées dans le contexte de la migration et encore plus dans la migration précaire. Des deuils doivent se faire. Cela demande une grande créativité, et une capacité d’adaptation face à laquelle nous ne sommes évidemment pas tous égaux ! Si nous ajoutons les différents obstacles et facteurs de stress sociaux rencontrés dans le cadre de l’exil, nous pouvons comprendre que ce contexte est propice aux crispations dans le couple, à la séparation, mais aussi à des difficultés d’intégration.

Carrefour orientation solidarité (COS) accueille chaque année depuis 2018 une quarantaine de familles avec enfants en bas âge. Celles-ci nous sont adressées par des institutions médicales ou psychoéducatives du canton de Genève ou par l’Hospice général. Parfois en raison d’une fragilité de la famille – familles monoparentales, séparées par la fuite –, parfois de besoins spécifiques chez le jeune enfant: traumatismes, difficultés de développement ou troubles du spectre autistique. L’approche de COS s’attache à renforcer les adultes dans leur rôle de parents et d’acteurs de leur propre vie: prise en charge des enfants, apprentissage du français et accompagnement psychosocial se conjuguent afin d’outiller ces familles dans le défi des premiers pas à Genève. L’association est ainsi confrontée aux difficultés rencontrées par les couples accueillant en leur sein un enfant et vivant eux-mêmes une précarité liée à leur parcours migratoire.

Être parents, malgré tout.

Les parents accueillis à COS sont souvent sujets à des états de méfiance ou survigilance, de dépression, de stress, d’insomnies ou d’anxiété en lien avec leur situation en Suisse. Des symptômes qui découlent d’un certain niveau d’isolement (social ou informationnel), de conditions de logement inadaptées, du manque de perspectives et d’accès au marché du travail malgré un réel désir de projet professionnel ou de formation. Mais aussi de l’épuisement lié à leur situation quotidienne, notamment à la maison avec peu de solutions de relais avec les enfants. Dans un tel contexte, les parents n’ont pas en leur possession toutes les cartes leur permettant de remplir leur rôle.

Les mères se voient bloquées par les places limitées en jardin d’enfants ou en crèche, y compris pour suivre des cours de langue. Nous voyons même des femmes qui habitent sept à huit ans à Genève et qui ne parlent pas un mot de français. Fonder une famille les met en situation d’inégalité par rapport à leurs partenaires hommes. Une constellation dans laquelle les femmes se trouvent prises en étau, et la famille en crise.

De manière plus alarmante encore, nous rencontrons également des femmes et enfants qui vivent dans des situations de violences familiales et/ou conjugales. Dans ces cas, alors qu’il serait nécessaire de pouvoir offrir un lieu sécurisé de garde régulière, les mères ont attendu des mois avant de pouvoir espérer une solution de garde le temps de stabiliser leur situation.

La garde des enfants en dehors de la famille est donc un travail important, riche et délicat. Or, les ressources déployées à Genève ne suffisent pas. C’est pour cela que notre association a été pensée sur trois axes: 1. Parentalité (avec jardin d’enfants); 2. Formation (apprentissage du français, projet de formation); 3. Sécurité psychoso- ciale (stabilité financière, santé psychique, compréhension du système socioculturel, ainsi que le projet de vie, y compris le travail).

L’idée est d’accompagner la famille dans sa globalité, vers les différentes étapes que sa nouvelle vie en Suisse comporte. Nous portons par exemple une grande attention à la question de la «séparation» de l’enfant avec sa mère pouvant être lourde de symbolique pour la famille. Il s’agit alors de prendre le temps de l’écoute, de l’explication, y compris avec interprète, dans les premiers entretiens d’accueil en crèche ou à l’école. Une dimension qui fait défaut dans le dispositif institutionnel.

Travailler avec…

Les ressources institutionnelles déployées sur le canton peinent à suffire pour donner le temps et l’espace nécessaires à une compréhension de la situation de vie des familles migrantes que nous rencontrons. De plus, souvent ces familles comprennent peu les attentes de notre société d’accueil. La dimension interculturelle, pleine de risques de malentendus, est souvent mise de côté. Par conséquent, dans le cadre de nos suivis, nous observons parfois des professionnels et des parents enfermés dans des dynamiques de confrontation au lieu de collaboration. Il nous est même arrivé d’être témoins de violences institutionnelles, là où les initiatives destinées à aider les personnes deviennent paradoxalement des obstacles à la prise en charge. Ceci peut engendrer de la souffrance de longue durée, voire une vraie méfiance par rapport à nos institutions et les professionnel·les.

Nous pensons que ce n’est qu’en ayant la vision la plus globale possible sur ce que traversent les familles que l’on pourra contribuer à apporter le soutien nécessaire à leur intégration. Ce travail minutieux est fait de traduction et de tissage de ponts entre les personnes concernées et les professionnel·les, ainsi que vers le réseau. À Genève nous avons la chance de pouvoir compter sur un nombre de ressources inestimables pour trouver des solutions à chaque défi particulier. Il suffit parfois de faire le bon lien au bon moment et de ce fait nous sommes largement tributaires et reconnaissant·es de la confiance de nos partenaires !

* Coordinatrice et intervenante sociale & psychologue FSP Carrefour Orientation Solidarité


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