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Journalisme collaboratif | Lighthouse Reports: « Notre but est d’avoir un impact »

Entretien mené par Elodie Feijoo avec Klaas van Dijken, directeur de Lighthouse Reports

Mettre en commun des ressources et des compétences pour réaliser des enquêtes d’intérêt public est le quotidien de Lighthouse Reports, l’un des pionniers du journalisme collaboratif. L’implication de Frontex dans des pushbacks aux frontières de l’Union européenne (UE), ou le rôle de l’UE dans des interceptions au large de la Libye, sont quelques-unes des pratiques dévoilées par ce média. Un entretien mené avec son directeur, Klaas van Dijken, nous en ouvre les coulisses : le démarrage d’une enquête, la collaboration avec les médias partenaires et les motivations qui sous-tendent ce type de journalisme.[1]Entretien en anglais, traduit en français.

Lighthouse Reports

Créé en 2019 en tant qu’organisation à but non lucratif, Lighthouse Reports est un pionnier du journalisme collaboratif et travaille avec de nombreux médias à travers le monde afin de mener des enquêtes approfondies d’intérêt public. La SRF (Schweizer Radio und Fernsehen) a participé à certaines de ces enquêtes ayant révélé des pushbacks par la police croate à la frontière avec la Bosnie-Herzégovine et par Frontex en mer Égée.

Unmasking Europe’s Shadow Armies / © Lighthouse Reports

Comment Lighthouse Reports a-t-il vu le jour ?
Les débuts de Lighthouse Reports, c’est trois spécialistes de la migration et de la corruption qui ont décidé de créer une organisation à but non lucratif en 2019. Nous avions remarqué que les compétences spécialisées – en migration, finance ou analyse des données – étaient rares au sein des organes de presse. La plupart ne pouvaient pas se permettre d’avoir des spécialistes en interne. Le besoin de collaborer était présent, mais peu de médias savaient comment faire. Nous avons donc décidé de mettre en place des équipes dotées d’une combinaison de compétences et d’expertises (thématiques, open source, flux financiers, science des données, data journalisme) pouvant être proposées aux médias pour mener des enquêtes. Aujourd’hui, nous sommes vingt-huit dans notre équipe, de la Grèce à la Thaïlande, en passant par l’Allemagne, les États-Unis, le Royaume-Uni, etc.

Comment débute une enquête ?

Nos capacités nous obligent à ne mener qu’un nombre limité d’enquêtes à la fois. Il est toujours possible de nous contacter pour nous faire part d’une proposition, mais la plupart du temps, c’est Lighthouse Reports qui prend l’initiative. Après quelques recherches préliminaires, dès que nous avons une hypothèse ou savons qu’il y a une histoire à raconter et qu’une investigation doit être menée, nous choisissons et prenons contact avec des partenaires potentiels. Des médias – journaux et radiotélévision – qui ne sont pas concurrents les uns des autres. Comme nos enquêtes sont transfrontalières, nous devons avoir au moins deux pays représentés avec un média par pays, mais cela peut aller jusqu’à 7-8 médias impliqués. Leur nombre est en constante augmentation et nous créons des consortiums pour traiter un sujet spécifique avec les plus aptes à mener cette enquête. Les investigations durent de quelques mois à deux ans.

Actuellement, vous avez sept «salles de presse» – ou newsrooms – thématiques ouvertes: traçage des armes, frontières, systèmes alimentaires, migration, surveillance, vainqueurs de guerre, déchets. Comment ces thèmes évoluent-ils ?

Une salle de presse a en moyenne un cycle de vie de 3 à 4 ans. Notre objectif est de couvrir un sujet sous un angle nouveau ou de manière plus approfondie que ce qui a été fait jusqu’à présent. Nous clôturons le sujet lorsque d’autres médias ou organisations s’en emparent; c’est le principe de la « communauté de responsabilité ». Par exemple, nous avons été parmi les premiers à enquêter sur les pushbacks des autorités grecques, en recueillant des preuves visuelles provenant de sources ouvertes (open source). D’autres médias ont alors commencé à faire de même, et c’est exactement ce que nous recherchons. Nous ne voulons pas continuer à faire des reportages sur la même chose, encore et encore.

Comment se passe la collaboration avec les médias partenaires ?
Nous ne sommes pas concurrents, car nous ne publions pas nous-mêmes les résultats des enquêtes. Cela nous a permis de mener les investigations et de négocier avec ces différents médias. Au lancement de Lighthouse Reports, la concurrence était très présente. Mais les choses ont changé ces deux dernières années. Il y a un réel appétit pour la collaboration, car les avantages sont évidents: personne ne peut mener de telles enquêtes seul. Nous travaillons avec de grands médias et d’autres, plus petits/ locaux.Tous travaillent sur un pied d’égalité, personne ne retient d’information et tout le monde peut faire usage des informations recueillies. Ce n’est que sur la base de cette confiance qu’une véritable collaboration est possible. Les partenaires n’ont pas à payer pour participer à l’enquête, mais doivent y contribuer, en termes de ressources ou de capacités. Cela garantit que chacun·e se sente concerné·e et s’implique dans la conduite de l’enquête et sa publication. Nous convenons d’embargos et de délais, de qui publiera quoi, mais nous ne contrôlons pas le produit final, qui appartient à chaque média.

Qu’est-ce qui motive et guide votre travail ?
Les thématiques sur lesquelles nous enquêtons nous tiennent à cœur; nous voulons que les choses changent et avoir un impact. Nous ne sommes pas des activistes, mais nous collaborons avec des personnes et des organisations extérieures au journalisme afin qu’elles puissent utiliser les résultats de nos enquêtes pour faire la différence. Nos enquêtes et les diverses audiences de nos partenaires médiatiques peuvent réellement peser sur les gouvernements et les décideurs·euses politiques. Certaines de nos investigations ont ainsi abouti à des procès et à des sanctions à l’encontre d’individus et d’entreprises.

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Notes
Notes
1 Entretien en anglais, traduit en français