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Notre regard

Drôle de news | Nouvelle pratique, nouvelle définition ?

Thao Pham, CSP Genève

Faut-il avoir pris les armes contre ses persécuteurs pour être éligible au statut de réfugié·e en Suisse ? La curieuse approche d’un·e fonctionnaire du Secrétariat d’État aux migrations (SEM) dans une décision d’asile.

Alors que la pratique en faveur des femmes et des filles originaires d’Afghanistan a récemment évolué pour prendre en compte les risques auxquelles elles sont exposées en cas de retour (p. 16), quelqu’un, dans un bureau du SEM à Berne-Wabern, semble vouloir contre-balancer ce courant, en tentant de modifier la façon dont on définit un réfugié. Avec une perspective plus que surprenante !

Normalement, ce statut est accordé à toute personne risquant de graves préjudices dans son pays d’origine en raison de sa race, religion, nationalité, groupe social ou opinions politiques. Cette protection s’étend à des menaces telles que la mise en danger de la vie, des violences corporelles ou des atteintes à la liberté.

Le cas d’un médecin afghan, autrefois directeur d’une clinique à Kaboul, a jeté une ombre sur ces critères. Engagé dans la promotion des droits des femmes, il a été victime de menaces et de violences de la part des talibans suite à son travail sur l’information contraceptive et les consultations données à des femmes parfois sans accompagnateur masculin. Il a donc fui dans un pays voisin de l’Afghanistan avec sa famille pour demander un visa humanitaire pour la Suisse. Sa requête a été rejetée par le SEM, qui remet en question les critères d’éligibilité au statut de réfugié.

Récit invraisemblable, absence de preuves ? Ce n’est pas ce qui lui est reproché. Dans le cas d’espèce, le SEM estime que « le recourant n’a pas exercé d’activités mettant directement en péril la vie, l’intégrité physique ou la liberté des talibans ou leur portant préjudice à tel point qu’il puisse légitimement craindre pour sa propre intégrité physique en cas de retour en Afghanistan. » [sic !]

Inversion Photo de Guillaume Techer sur Unsplash

Autrement dit, le médecin n’ayant pas directement mis en danger les talibans, il ne répondrait pas aux critères de persécution personnelle, explique très sérieusement le SEM au Tribunal administratif fédéral pour l’inviter à rejeter le recours du médecin. Cette interprétation engendre une inversion des rôles où les persécuteurs deviendraient, de facto, les persécutés. Notre mandant ne pourrait pas être persécuté puisque ce n’est pas lui qui a commencé, comme dirait un enfant de cinq ans. Les talibans ne seraient ainsi pas des fous idéologiques, mais des assoiffés de vengeance…

Outre d’interroger sur la compréhension réelle par cet·te employé·e du SEM des activités des talibans et des véritables conséquences de leur pouvoir en Afghanistan, ce cas interroge sur une conception très curieuse de la définition du besoin de protection.