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Notre regard

Interview | Melete Solomon Kuflom, cofondatrice de l’AMIC. Mieux se comprendre les uns les autres

L’Association des médiatrices interculturelles (AMIC) a été fondée en 2010 par d’anciennes femmes réfugiées. Sa mission est de créer des ponts culturels favorisant l’accueil, l’inclusion et l’autonomisation des personnes migrantes nouvellement arrivées à Genève. Les médiatrices ayant elles-mêmes connu l’exil, l’incertitude de l’avenir et les difficultés de l’intégration possèdent une connaissance pratique du terrain tirée de leur propre vécu. Leur approche vise à promouvoir le dialogue et la compréhension entre les différentes cultures présentes dans le canton tout en reconnaissant à chaque personne une histoire et des besoins uniques. Melete Solomon Kuflom, cofondatrice de l’AMIC, nous en raconte la genèse, intrinsèquement liée à son propre parcours.

Dans quelles conditions êtes-vous arrivée à Genève?

Je suis arrivée dans les années 1980, au moment de la guerre de sécession avec l’Éthiopie. J’avais 17 ans et je venais d’Érythrée. Là-bas, dans les deux camps, tous les jeunes, une fois l’école obligatoire terminée, étaient enrôlés de force dans l’armée.

J’avais quitté une famille nombreuse où j’étais très entourée. Ici, tout était nouveau pour moi. Comment se nourrir ? Comment s’habiller ? À qui faire confiance ? De qui se méfier? Je ne faisais aucune différence entre les nationalités européennes.

Comment se sont passées les premières années en Suisse?

Je ne savais pas ce que signifiait demander l’asile. Je fuyais l’armée, mais je n’imaginais pas ne plus pouvoir revoir ma famille. Les Érythréens n’obtenaient pas l’asile. J’ai reçu un permis humanitaire.

En classe d’accueil, j’étais preneuse de tout ce que je pouvais apprendre. Je voulais absolument être autonome. J’ai pu suivre une formation et mon premier métier a été laborantine en biologie. J’ai épousé un compatriote, nous avons eu deux enfants. Mon mari qui était architecte est reparti en 1993, au moment de l’Indépendance de l’Érythrée pour reconstruire le pays.

Et vous, vous êtes restée à Genève?

Pendant tout ce temps, notre vie était «provisoire». Puis la guerre avec l’Éthiopie a recommencé. Et le service militaire à durée illimitée également. À ce moment j’ai fait le choix définitif de rester. Et j’ai obtenu la nationalité suisse.

Comment avez-vous trouvé votre place ici ?

En 2000, j’ai repris des études en psychologie à l’université, tout en travaillant à 50 % et en élevant, seule, mes enfants. En 2007, j’ai commencé à travailler comme interprète pour la Croix-Rouge genevoise. J’ai été engagée pour une campagne de sensibilisation contre les mutilations génitales. Avec d’autres collègues, nous nous rendions dans les foyers d’hébergement pour parler aux femmes. Il y a eu ensuite d’autres campagnes, contre les violences domestiques, à propos du SIDA…

En 2010, vous avez, avec d’autres femmes réfugiées, fondé l’AMIC, pourquoi ?

Les campagnes de sensibilisation ne durent que quelques mois, il faut davantage de temps pour modifier les mentalités. J’avais pu me rendre compte, grâce aux visites à domicile, à quel point certaines femmes vivaient isolées. Nous avions, néanmoins, réussi à construire un lien de confiance avec elles. Elles nous appelaient régulièrement à l’aide pour des démarches administratives ou des problèmes de la vie quotidienne. J’avais aussi constaté un grand décalage entre elles et leurs enfants. Ceux-ci, grâce à l’école, apprenaient très vite le français. Nous avons ressenti, alors, le besoin de faire quelque chose pour aider les enfants à construire leur avenir, mais avec leurs mamans. Favoriser l’autonomisation des femmes tout en renforçant le lien parental. Nous avons, ainsi, créé l’Espace-Parents-Enfants où nous proposons différentes activités afin d’encourager les échanges et permettre aux parents de partager leurs préoccupations. Ensemble, nous cherchons des réponses à leurs questions et des solutions à leurs problèmes.

Performance lors des 10 ans de l’AMIC

Comment se sont passés les débuts ?

Tout reposait sur le bénévolat. Nos activités se déroulaient dans les locaux que différentes associations mettaient à notre disposition. Face à l’État et aux institutions, il n’a pas été facile d’être reconnues comme partenaires fiables, notre savoir reposant entièrement sur nos propres expériences de vie.

Puis en 2014 sont arrivé·es un très grand nombre de mineur·es non accompagné·es, la plupart d’Érythrée. On a eu besoin de nous! Les classes d’accueil débordaient. Ces jeunes avaient tout à apprendre et il n’y avait pas de structures adaptées à leurs besoins. Grâce à un projet de parrainage intitulé «un set de plus à table»[1]Créé avec le Service social international, le projet de famille-relais est désormais géré par l’AMIC, nous leur avons donné la possibilité de tisser, hors de leur communauté, des liens de confiance et d’amitié. De très nombreuses familles de Genève se sont engagées, une à deux fois par semaine, à inviter un jeune exilé pour un repas, une sortie, un événement… Plus de 300 jeunes de diverses nationalités ont déjà bénéficié de cette démarche.

Ce projet a permis de lutter contre l’isolement des nouveaux arrivants tout en impliquant des personnes de la société d’accueil. L’intégration commence nécessairement par une rencontre et se poursuit par le désir de mieux connaître et de comprendre qui est l’autre.

Votre approche a été mieux reconnue?

Nous disposons maintenant de nos propres locaux et avons obtenu cinq postes de travail à temps partiel. Nous collaborons avec 16 organismes différents. Par exemple, nous avons un partenariat avec l’Institut Jacques Dalcroze: une douzaine enfants bénéficient d’un éveil musical une fois par semaine dans nos locaux. Nous avons obtenu également que 30 enfants puissent suivre des cours d’anglais avec l’École internationale les mercredis après-midi. Les activités extrascolaires permettent aussi aux parents de nouer de nouvelles relations.

Dans le cadre du projet Kid Guernica, FIFDH 2024

Avez-vous de nouveaux projets ?

Nous venons d’initier un tout nouveau projet en collaboration avec les musées d’ethnographie de Genève et Neuchâtel, le Musée international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, ainsi que le Musée gruérien à Bulle.

L’art et la culture sont des facteurs importants de formation de l’identité, de dialogue et de cohabitation. Par ce projet, intitulé «lectures alternatives», nous cherchons à apporter de nouvelles lectures aux objets présentés dans les expositions permanentes. Nous proposons d’utiliser les musées comme lieux de rencontre facilitant les échanges en croisant des parcours de vie différents.

Cette initiative vise d’une part à encourager notre public à fréquenter les musées et à découvrir différentes civilisations. Mais également à intégrer des personnes migrantes à des initiatives participatives, telles la création d’audioguides ou la participation à des ateliers où elles auront l’opportunité d’apporter des idées, des réflexions liées à leur propre culture. L’AMIC s’engage ainsi à coconstruire une culture suisse polyphonique où toute personne, indépendamment de son pays d’origine, sa langue maternelle, sa religion, son parcours de vie, puisse s’identifier.

La distinction entre Nous et l’Autre reste trop souvent le modèle sur lequel reposent les débats culturels, médiatiques et politiques.

Propos recueillis par NICOLE ANDREETTA

En savoir plus sur l’AMIC: amicge.ch

À noter que l’AMIC est toujours à la recherche de familles-relais sur le canton de Genève: amicge.ch/parrainage-marrainage/

Cette interview a été publiée dans revue-itineraires.ch

Notes
Notes
1 Créé avec le Service social international, le projet de famille-relais est désormais géré par l’AMIC