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Notre regard

Procédure | La vraisemblance du récit, une notion subjective

SOPHIE MALKA et SOLOMON GILAY

Erythrée : 4 décisions pour des parcours similaires

Comment quatre personnes ayant fui la même ville d’Érythrée, les mêmes risques d’enrôlement dans l’armée, peuvent-elles se retrouver, en Suisse, avec quatre décisions d’asile différentes ? La question, c’est Solomon Gilay qui la pose dans la recherche qu’il a publiée en vue de l’obtention de son CFC d’assistant socio-éducatif à Genève. Une question qui le taraude parce que lui-même est concerné : il n’a obtenu qu’un permis F pour étranger·ères alors que d’autres ont reçu le B réfugié, le F réfugié ou alors ont été débouté·es.

«Y a-t-il en Suisse des critères tant soit peu objectifs pour déterminer l’obtention d’un permis par un jeune requérant d’asile érythréen ?» sera le titre de son travail d’approfondissement. Une question d’autant plus légitime qu’elle se réfère à la loi et à des procédures étatiques a priori perçues par le grand public comme relativement neutres et balisées. Solomon passe ainsi au crible les permis, la procédure d’asile, la situation en Érythrée et l’évolution de la politique suisse vis-à-vis des requérant·es d’asile venant de ce pays, avant de s’intéresser à l’étape qui s’est sans doute avérée déterminante pour chacun·e de ces quatre jeunes : l’audition d’asile.

À l’appui d’interviews auquel lui-même s’est soumis, c’est bien ce moment clé qui jouera l’avenir de ces quatre jeunes, dont trois sont arrivés encore mineurs en Suisse. Ont-ils réussi à rendre «vraisemblable» leur besoin de protection (voir notre article sur la vraisemblance) ? Combien de temps s’est-il passé entre leur fuite du pays et leur arrivée en Suisse ? Que leur est-il arrivé durant le parcours, combien de temps s’est-il passé entre leur arrivée et leur audition, entre leurs deux auditions ? Ont-ils été entendus en tant que mineurs /majeurs ? Étaient-ils accompagnés d’une personne de confiance ? Si ce travail reste celui d’un jeune de 22 ans aujourd’hui investi dans la vie active après avoir obtenu son CFC, il permet une analyse comparative rare, car fondée sur quatre situations très proches et très concrètes. Ci-après, un extrait de sa conclusion:

SOPHIE MALKA

«Cela ne fait que renforcer mon sentiment d’injustice»

Mon hypothèse de départ était que, malgré l’existence de lois pour déterminer l’obtention d’un permis, l’application de ces lois a une part de subjectivité. Mon travail a montré que cette part de subjectivité était liée à des aspects politiques (volonté d’accueillir moins de personnes, pressions politiques) et aussi à des aspects de procédure, en particulier les nombreux facteurs qui vont influencer l’évaluation de la vraisemblance du récit. Ainsi, pour répondre à la question principale de ce travail, on peut dire qu’il y a des critères juridiques objectifs pour déterminer l’obtention d’un permis par un jeune requérant d’asile érythréen, mais que la subjectivité est aussi présente dans l’application des lois et que c’est à ce moment-là que le système rencontre des limites quand il doit prendre des décisions «justes» pour les personnes.

Arrivé à la fin de ce travail, je comprends mieux les éléments qui influencent les décisions d’octroi d’un permis, mais cette compréhension ne fait que renforcer mon sentiment d’injustice. Nous avons vu en introduction que l’objectif de la politique d’asile de la Suisse est de protéger les personnes qui ont besoin de protection, et qu’elle doit donc pouvoir faire la différence entre les personnes qui ont besoin d’être protégées et les autres. Ce travail met en avant la difficulté de faire cette différence et donne l’impression qu’on fait plutôt la différence entre les personnes qui ont réussi à prouver qu’elles ont besoin de protection et celles dont le récit n’a pas été cru. Tout ceci dans un contexte politique qui souhaite réduire le nombre de personnes accueillies.

Pour aller plus loin dans la réflexion et préciser le rôle de la vraisemblance dans les décisions, il faudrait pouvoir étudier et comparer en détail les comptes-rendus des auditions des quatre personnes interviewées. En effet, cette question de la vraisemblance est vraiment au centre de tout. C’est l’argument qui permet de comprendre de nombreux refus mais du coup c’est aussi l’argument qui finalement permet de justifier tous les refus. Avec toutes les conséquences de ces décisions sur l’avenir des personnes…

SOLOMON GILAY

Retrouvez ci-dessous le travail de Solomon GILAY, Y a-t-il en Suisse des critères tant soit peu objectifs pour déterminer l’obtention d’un permis par un jeune requérant d’asile érythréen ?, TPA réalisé en vue d’u CFC d’assistant socio-éducatif, 2023