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Notre regard

Naturalisation des jeunes issu·es de l’asile: Un parcours du combattant

Juliette de Montmollin

L’initiative populaire « Pour un droit de la nationalité moderne (initiative pour la démocratie) » est en pleine récolte de signatures. Lancée par l’association Quatre-Quarts, elle demande un changement de paradigme dans le droit à la nationalité suisse, en inscrivant dans la Constitution des critères plus équitables. Fruit d’un durcissement progressif, la Loi sur la nationalité suisse (LN) est en effet l’une des plus restrictives d’Europe. Et d’autant plus depuis l’entrée en vigueur de la nouvelle mouture en 2018. La demande de naturalisation est désormais réservée aux personnes titulaires d’un permis C après 10 ans de séjour en Suisse, allongeant pour beaucoup la procédure. Cette modification a des conséquences particulièrement douloureuses pour les jeunes issues de l’asile. Certain·es, même né·es en Suisse, doivent désormais attendre leurs 30 ans pour pouvoir demander leur naturalisation. Un accès retardé à la citoyenneté qui a de lourdes conséquences pour les jeunes -dépendant du statut de leurs parents- et qui malmène notre démocratie. Explications.

« Partant du principe que l’acquisition de la nationalité constitue l’étape ultime de l’intégration, elle est soumise aux exigences les plus élevées » Message du Conseil Fédéral concernant la révision totale de la loi fédérale sur l’acquisition et la perte de la nationalité suisse (4 mars 2011).

La loi sur la nationalité depuis 2018

Dès 2011, alors que les discussions sur la modification de la loi sur la nationalité étaient en cours, nous alertions déjà sur les risques de prolongement spectaculaire du délai pour les personnes relevant du domaine de l’asile d’accéder à la citoyenneté [1]Marie-Claire Kunz, Une intégration à deux vitesses ? VE n° 133, juin 2011.

Premier critère rédhibitoire de la loi : être titulaire d’une autorisation d’établissement (Permis C). Avant 2018, ce critère relevait de la compétence des cantons. Certains, comme Genève, permettaient le dépôt d’une demande de naturalisation aux personnes titulaires d’un permis B, F ou L. D’autres, beaucoup plus restrictifs comme le Valais, limitaient la demande aux permis de séjour B et C. Les difficultés engendrées pour les jeunes né·es en Suisse et titulaires de permis F étaient alors déjà documentées [2]Fatxiya Ali Aden, Admission provisoire : 20 ans, leur avenir se ferme, Edition n° 133 de la revue Vivre Ensemble, juin 2011. Le Parlement fédéral décida néanmoins de niveler ce critère par le haut, en exigeant un permis C.

Si la durée de séjour exigée s’est en apparence assouplie -il faut désormais justifier de 10 ans de séjour en Suisse, contre 12 auparavant- cette durée sera, dans la plupart des cas, remplie au moment de l’obtention du permis C qui exige 10 ans de résidence. Pour Rémy Kamermann, juriste au Centre Social Protestant Genève, « on a en quelque sorte déplacé la difficulté de l’obtention de la nationalité vers celle du permis C, devenue beaucoup plus exigeante depuis la réforme de la loi sur les étrangers (LEI). Ce durcissement de la LEI, concomitant à celui de la loi sur la nationalité, impacte particulièrement les personnes issues de l’asile. L’obtention du permis C devient ainsi le véritable sésame vers la naturalisation. »

Les candidat·es sont en effet évalués sur leur intégration. Notion incluant des critères telle l’aptitude à communiquer au quotidien dans une langue nationale, à l’oral d’un niveau B1, et à l’écrit d’un niveau A2. Autre critère, et non des moindres : pouvoir prouver sa participation à la vie économique du pays et ne pas percevoir d’aide sociale ni en avoir perçu au cours des trois années précédant le dépôt de la demande. Des critères déjà pour partie requis pour obtenir un permis B puis C…

Initiative pour la démocratie

Soutenue par une large alliance de la société civile, l’initiative vise à inscrire des critères dans la Constitution (Art. 38, al. 2), pour que la naturalisation suisse soit ouverte à toute personne :

  1. Qui séjourne légalement en Suisse depuis cinq ans ;
  2. Qui n’a pas été condamné à une peine privative de liberté de longue durée ;
  3. Qui ne met pas en danger la sûreté intérieure ou extérieure de la Suisse ;
  4. Qui possède des connaissances de base dans une langue nationale.

Retrouvez l’initiative sur le site https://democratie-initiative.ch/
Délai de récolte de signatures le 23.11.2024

Des pratiques au risque discriminatoire

Selon la chercheuse Barbara von Rütte [3]Citoyenneté : la Suisse sélective. Entretien avec Barbara von Rütte, Le Courrier, 21 mars 2024, cette loi sur la nationalité comporte des risques de discriminations. D’abord lorsque la naturalisation des candidat·es, qui relève toujours d’applications cantonales, est votée en assemblée communale, comme si l’on votait pour l’entrée d’une personne dans un nouveau club (on se souvient du scandale d’Emmen, ou les habitant·es avaient refusé le passeport à toutes celles et ceux dont le nom sonnait étranger que le Tribunal fédéral avait pour partie recadré).

Autre mécanisme discriminatoire : l’exclusion des personnes qui bénéficient de l’aide sociale. Parmi elles figurent un nombre disproportionné de femmes seules : si la quasi-totalité ne peut se faire naturaliser, le problème est de taille.

Enfin, par son caractère très sélectif, cette loi favorise la naturalisation des personnes instruites et à hauts revenus des pays européens, comme l’a montré une récente étude de la Commission fédérale des migrations (CFM). Elle montre en effet que la part des personnes hautement qualifiées et aisées a augmenté de manière significative depuis 2018, et que le nombre de personnes peu qualifiées et aux revenus plus faibles a nettement diminué [4]CFM, La naturalisation ordinaire en Suisse. Effets de la nouvelle loi sur la nationalité suisse et pistes pour un système de naturalisation plus inclusif, mai 2024.

Les jeunes parmi les plus discriminé·es

Perpétue-t-on une société à deux vitesses ? Les jeunes, né·es ou arrivé·es enfants en Suisse, et dépendant·es de la situation administrative de leurs parents, sont parmi les plus touché·es par cette exclusion de la nationalité et des droits et garanties que le passeport octroie. Celles et ceux dont les parents sont sans statut légal ou ont été débouté·es, mais qui ont grandi et été scolarisé·es en Suisse voient leur avenir bouché et entravé durablement. L’initiative quatre-quart serait pour elles et eux une vraie bouée de secours.

De même pour les enfants de titulaires d’un permis F -les fameuses admissions dites « provisoires» généralement octroyées aux réfugié·es de la guerre et dont on sait qu’ils et elles resteront durablement en Suisse. Ainsi, un·e jeune né·e en Suisse et dont les parents ne parviennent pas à s’extraire de ce statut devra attendre sa majorité pour d’abord demander un permis B, procédure prenant en moyenne 1 an, qu’il·elle obtiendra au plus tôt à ses 19 ans. Puis, la loi exigeant le permis C, il·elle doit attendre 10 ans pour l’obtenir (condition d’obtention du permis C ordinaire). C’est ainsi seulement à l’âge de 29 ans qu’il ou elle peut déposer sa demande de naturalisation, qu’il·elle obtiendra donc au plus tôt à 30 ans…

Pendant tout ce temps, ce jeune subira les conséquences néfastes du permis de ses parents, pesant tant sur ses conditions d’existence que sur son avenir. La Confédération reconnaît pourtant que 90% des permis F restent durablement en Suisse et que les titulaires de ce permis ont de grandes peines à trouver un travail, une place d’apprentissage ou même avoir accès à des bourses d’études [5]SECO, ODM, Informations concernant l’accès à des personnes admises à titre provisoire (livret F) au marché du travail.

Cette longue attente peut ainsi mener à des situations paradoxales et entraîner de grandes souffrances. C’est le cas notamment pour Abul Shokor Ghafori, arrivé en Suisse mineur, sportif de haut niveau, et pour qui ne pas être suisse mène à de nombreux obstacles, et l’empêche de participer aux Jeux olympiques. (encadré)

Pourquoi discriminer des jeunes et les punir d’une situation administrative non choisie? Il est certain qu’un vide doit être comblé. Dans son étude, la Commission fédérale des migrations recommande de simplifier la naturalisation des enfants et des jeunes et permettre à toute personne qui est née et a grandi en Suisse d’obtenir la nationalité suisse [6]CFM, La naturalisation ordinaire en Suisse. Effets de la nouvelle loi sur la nationalité suisse et pistes pour un système de naturalisation plus inclusif, mai 2024, p.33.

Le débat pourra être ouvert avec l’Initiative quatre-quarts de la société civile, si celle-ci récolte suffisamment de signatures. Très (trop ?) ambitieuse, cette initiative permettra de questionner le paradigme actuel de la naturalisation, fruit de politiques paradoxales, mais qui ne sont pas des états de fait.

Découvrez le parcours de Abdul Shokor Ghafori – ni réfugié, ni Suisse

En Suisse depuis 9 ans, ce jeune Afghan est aujourd’hui titulaire d’un permis de séjour. Après avoir rejoint l’équipe nationale de taekwondo et remporté plusieurs médailles, Abdul Shokor est contraint de quitter l’équipe. En cause: la nationalité suisse devient une condition pour porter les couleurs de la Suisse. Témoignage.


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Notes
Notes
1 Marie-Claire Kunz, Une intégration à deux vitesses ? VE n° 133, juin 2011
2 Fatxiya Ali Aden, Admission provisoire : 20 ans, leur avenir se ferme, Edition n° 133 de la revue Vivre Ensemble, juin 2011
3 Citoyenneté : la Suisse sélective. Entretien avec Barbara von Rütte, Le Courrier, 21 mars 2024
4 CFM, La naturalisation ordinaire en Suisse. Effets de la nouvelle loi sur la nationalité suisse et pistes pour un système de naturalisation plus inclusif, mai 2024
5 SECO, ODM, Informations concernant l’accès à des personnes admises à titre provisoire (livret F) au marché du travail
6 CFM, La naturalisation ordinaire en Suisse. Effets de la nouvelle loi sur la nationalité suisse et pistes pour un système de naturalisation plus inclusif, mai 2024, p.33