Renvois Dublin | Bezma, 6 ans et malade, expulsée vers la Croatie avec sa famille
Le renvoi de Bezma, 6 ans et malade, vers un centre insalubre en Croatie, soulève une vive indignation. Camille Krafft, journaliste chez Blick, a retrouvé la fillette et sa famille et nous raconte leur périple et les enjeux qu’il soulève. Entre lacunes dans la transmission des informations médicales et responsabilités diluées entre les autorités suisses, son cas relance le débat sur la politique des renvois Dublin et le respect des droits de l’enfant.
Pour un portrait de la situation plus complet, nous vous renvoyons vers les trois articles:
- Gravement malade, cette fillette a été renvoyée par la Suisse dans un centre sordide en Croatie
- Renvoi d’une fillette malade: la Suisse est-elle allée trop loin?
- Renvoi d’une fillette malade: les enfants sont traités comme «des criminels endurcis»

Bezma[1]Prénom d’emprunt (Blick) a 6 ans. D’origine turque, elle a quitté son pays avec sa maman et son petit frère, fuyant un cadre familial et conjugal violent – et la crainte d’un «crime d’honneur». Après avoir transité par la Croatie, la Slovénie et l’Italie, tous·tes trois demandent l’asile en Suisse. Outre la violence éprouvée sur la route et la détresse psychologique qui s’en suit, l’état de santé de la fillette se complique et elle est hospitalisée en CHUV en novembre 2024. Une dégradation dont sa maman s’était inquiétée mais qui n’avait pas été suffisamment prise en compte par les médecins des CFA dans lesquels la famille a transité. Il s’avère que Bezma souffre d’une maladie sérieuse et d’une complication qui l’est tout autant : un anévrisme coronarien, qui nécessite une prise en charge régulière, conséquente et, surtout, sur plusieurs années. Les médecins suisses souhaitaient ainsi lui faire passer d’autres tests. Un diagnostic qui n’a nullement empêché le renvoi brutal de Bezma et sa famille. Réveillé·es au milieu de la nuit par une vingtaine d’agent·es en uniforme, celle-ci a été placée à bord d’un avion affrété pour leur transfert et celui de trois autres «cas Dublin».
Camille Krafft, journaliste pour le Blick, a été retrouver Bezma, son frère et leur maman en Croatie. Dans son enquête, elle décrit les conditions de vie insalubres du centre dans lequel la famille est hébergée. Elle relate une situation inquiétante : à l’heure de l’enquête, Bezma ne recevait pas les soins nécessaires à sa maladie et prescrits par le CHUV. Selon sa maman, les médecins croates agissent «comme s’il n’y avait rien». Une situation qui ne peut que faire écho aux multiples alarmes tirées quant aux conditions d’existence au sein du système d’asile croate.
Des lacunes dans la transmission des informations
Le premier article de Camille Kraft, que nous vous recommandons , décrit le périple de Bezma et sa famille. Indigne, violent et traumatisant. Il permet de poser certaines questions en termes de suivi et de transmission d’informations entre les différentes instances amenées à intervenir au cours d’une procédure d’asile et de la prise en charge qui l’accompagne. Des questions d’ordre médical et politique, que Blick thématise dans deux autres articles.
D’ordre médical…
D’un côté, le MASM – Médecins Action Santé Migrants – cherche à établir des responsabilités concernant le transfert de Bezma, qui s’apparente à «une mise en danger grave de l’enfant», selon Josiane Pralong, fondatrice de l’association. Comment les informations ont-elles circulé entre le CHUV (qui a statué sur l’état de santé de la fillette), le SEM (qui prend les décisions), et le Service de la population vaudois (qui les met en application) ? En réalité et comme l’explique la journaliste, le MASM dénonce «un problème plus général dans les procédures de transfert de migrants vers d’autres pays. Selon [le MASM], le SEM ne tient souvent pas compte des certificats produits par des médecins suisses, notamment en cas de risques de suicide.» L’association demande que les avis médicaux prononcés par les médecins traitants et hospitaliers suisses soient pris en compte lors des transferts, et que les dossiers des patient·es soient correctement transmis. Une exigence qui pointe du doigt Oseara SA, l’entreprise controversée en charge de l’accompagnement médical.
La Revue médicale suisse vient de publier son numéro 2025. Son dossier, Vulnérabilités et santé, propose différents articles articulant les questions de santé avec celles de la migration, dans l’optique de tirer des enseignements. Pour lire la revue, vous pouvez vous rendre sur le site de la Revue médicale suisse.
…et politique
Les lacunes dans la transmission des informations ont également été soulevées au niveau politique. Le député socialiste Julien Eggenberger demande des réponses au Conseil d’Etat vaudois «quant au respect des droits humains et la continuité des soins des personnes renvoyées en Croatie», avec une inquiétude particulière pour les enfants. A noter que les autorités fédérales comme cantonales ont été directement renseignées, en 2023, des violences exercées en Croatie.
La journaliste s’est entretenue avec l’élu, qui relève en outre que si c’est bien au niveau fédéral que les décisions d’asile sont rendues, ce sont les cantons qui sont chargés de leur mise en application. Une responsabilité dont l’Etat de Vaud se dédouane, répétant que «c’est Berne qui décide».
Tout le monde se renvoie la balle entre le SEM, le SPOP et les services médicaux. Et au final, personne n’est responsable de rien, au détriment des droits humains des personnes concernées.
Julien Eggenberger, député socialiste vaudois
Cette «marge de manoeuvre» dont dispose les cantons ressort également des propos tenus par Charles Morerod, évêque de Lausanne, Genève et Fribourg : «Même quand il y a des règlements, par ailleurs discutables, il n’est pas interdit de faire preuve de bon sens.»[2]Charles Morerod: «Même Donald Trump ne fait pas ça»
Notes
↑1 | Prénom d’emprunt (Blick |
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↑2 | Charles Morerod: «Même Donald Trump ne fait pas ça» |