Analyse | Les politiques anti-regroupement familial et leur impact
Atiqullah Jafari
Uniquement motivées par des visées électorales, les politiques restrictives en matière de regroupement familial ont des répercussions profondes sur les personnes titulaires d’une admission provisoire (permis F). Atiqullah Jafari estime qu’elles ont également pour effet de freiner le processus d’intégration dans la société d’accueil.

Les règles imposées aux titulaires d’un permis F peuvent entraîner des éloignements familiaux prolongés, avec des conséquences psychologiques et sociales significatives. Une étude de terrain en cours réalisée par l’auteur à partir d’entretiens avec de nombreux ressortissant·es afghan·es résidant en Suisse[1]Etude qualitative de terrain en cours réalisée par l’auteur à partir d’entretiens avec de nombreuses personnes afghanes résidant en Suisse. montre que la séparation familiale peut accroître l’anxiété, la dépression et un sentiment d’instabilité émotionnelle chez les réfugiés. Les enfants sont particulièrement vulnérables. La présence de la famille constitue un réseau de soutien essentiel, aidant les personnes concernées à surmonter les défis culturels et sociaux. Sans ce soutien, ils et elles peuvent éprouver davantage de difficultés à apprendre la langue, à étudier, à trouver un emploi et à établir des liens sociaux.
IMPACTS PSYCHOLOGIQUES ET SOCIAUX SUR LES FAMILLES ET LES ENFANTS
La séparation forcée des familles concerne beaucoup de ressortissant·es afghan·es. Ayant fui leur pays en raison de la guerre et de la violence, ils et elles espéraient commencer une nouvelle vie en Suisse avec leur famille. Or, le statut qui leur est majoritairement octroyé, le permis F ou admission provisoire, limite drastiquement la possibilité de regroupement familial. Leurs espoirs se transforment alors en désillusion.
Les recherches montrent que les enfants réfugiés séparés de leurs parents ou d’autres membres de leur famille subissent non seulement des traumatismes émotionnels, mais rencontrent également des difficultés dans leur processus d’intégration, notamment scolaire. Les répercussions sur la formation, l’intégration sociale et professionnelle de ces politiques anti-regroupement familial sont significatives.

DES CONSÉQUENCES SOCIALES ET ÉCONOMIQUES SIGNIFICATIVES
Elles entravent la participation active des personnes migrantes dans la société d’accueil. Perpétuellement préoccupées par la situation de leurs proches, elles peinent à se concentrer sur leur vie quotidienne ou à contribuer économiquement à la société. Confrontées à ces défis, et aux obstacles induits par leur permis F, elles participent beaucoup moins au marché du travail que les autres et se retrouvent souvent dans des emplois précaires et mal rémunérés. La pauvreté économique qui en découle conduit à une marginalisation sociale. Cela peut également entraîner un sentiment d’aliénation et de non-appartenance à la société d’accueil, poussant finalement les réfugié·es à vivre en marge plutôt que de chercher à s’intégrer pleinement.
Cette instabilité n’affecte pas seulement négativement la vie des personnes concernées, mais aussi la société dans son ensemble, contribuant à des mécontentements sociaux et à du rejet. Des sentiments négatifs sur lesquels surfent les partis populistes pour proposer de nouveaux durcissements.
REGROUPEMENT FAMILIAL POUR LES PERMIS F. QUELLES CONDITIONS ?
- Délai d’attente de 2 ans
- Lien familial (uniquement époux-épouse et enfants mineurs)
- Indépendance financière pour toute la famille (indépendance de l’aide sociale)
- Intégration poussée (en particulier la langue)
- Logement adéquat pour accueillir la famille
Que disent les personnes qui essaient d’obtenir un regroupement familial ?
Nous avons mené des entretiens avec des réfugié·es afghan·es en Suisse qui n’ont pas réussi à faire venir leurs proches
en raison de la politique en matière de regroupement familial. Ils partagent leurs histoires de séparation d’avec leurs conjoints et enfants et les effets profonds que cette séparation a sur leur vie.
Ci-dessous deux témoignages. Un troisième sera à découvrir sur notre plateforme d’information asile.ch lors de la parution de l’article en ligne.
Ali a fui l’Afghanistan il y a sept ans. Depuis son arrivée en Suisse, il n’a toujours pas réussi à faire venir sa famille auprès de lui. Il a quitté l’Afghanistan pour échapper à l’insécurité et à la guerre, dans l’espoir de bâtir une nouvelle vie dans un pays sûr pour lui et sa famille. Mais les réalités rigides et le long processus de regroupement familial ont transformé sa vie en un autre défi.
Ali passe ses journées le cœur lourd, loin de sa famille, avec une inquiétude constante quant à leur sécurité. Sa femme et ses enfants, qui vivent toujours en Afghanistan sous les politiques strictes des talibans, luttent contre des restrictions sévères et une insécurité croissante. La vie est devenue plus difficile que jamais pour eux, surtout pour la femme d’Ali, qui est privée du droit à l’éducation, au travail et à la participation à la vie sociale. Elle passe ses journées dans la peur et l’isolement, et ces injustices et
pressions ont eu un impact profond sur la famille d’Ali.
Ali explique que la séparation de sa famille l’a non seulement plongé dans une dépression et une inquiétude intense, mais a aussi jeté une ombre sur tous les aspects de sa vie. Il n’est plus capable de travailler avec la même concentration et productivité qu’avant, car son esprit est constamment préoccupé par le sort et la sécurité de sa famille. Il ne peut pas envisager un avenir prometteur et motivant, car un avenir sans ses proches n’a pour lui aucune signification. Cette situation a brisé les espoirs d’Ali de construire une nouvelle vie. Chaque nuit, il se réveille en sursaut, hanté par des cauchemars et des angoisses liées à l’éloignement et à l’insécurité de sa famille, et chaque jour, il vit avec une anxiété croissante.
Alors que de nombreuses personnes en Suisse mènent une vie paisible et pleine d’opportunités, Ali reste prisonnier de ses souvenirs et de ses inquiétudes. Chaque jour, il espère un changement dans les lois migratoires et une facilitation du regroupement familial, mais il continue de vivre dans une attente pleine d’angoisse. Cette attente l’a progressivement épuisé de l’intérieur, et son souhait de retrouver sa famille dans ses bras reste toujours non réalisé.
Ajmal, un autre Afghan qui a fui sa terre et sa maison, raconte une histoire douloureuse de séparation et de désespoir. Il s’est échappé d’une région autrefois sous le contrôle des Talibans, où il a vécu au milieu des menaces et de la violence. Lorsqu’il est arrivé en Suisse, il avait l’espoir de pouvoir sauver sa famille des flammes de la guerre et leur offrir une vie plus sûre. Mais en recevant un permis de séjour temporaire, tous ses rêves et espoirs se sont soudainement effondrés.
Ajmal dit: «Chaque jour est un cauchemar pour moi. Je ne sais pas quand je pourrai revoir ma famille. Mes enfants me demandent chaque jour quand leur père les rejoindra, et je n’ai aucune réponse à leur donner. Cette situation est insupportable pour eux et pour moi.» Il ne peut envisager son avenir correctement, car, d’un côté, l’angoisse et la peur pour le sort de sa famille et de ses enfants l’envahissent, et de l’autre, il ne voit aucun moyen clair de réunir ses proches.
De plus, compte tenu des politiques misogynes et répressives des Talibans, la situation de sa femme et de ses enfants restés en Afghanistan devient chaque jour plus difficile. Sa famille vit dans un contexte de restrictions, d’insécurité et de danger, où l’avenir de ses filles et de sa femme est assombri par la répression des Talibans.
Ajmal, qui n’a aucune possibilité de retourner en Afghanistan, est pris entre la douleur de la séparation et l’inquiétude pour ses proches. Il explique que chaque nouvelle venant d’Afghanistan met son cœur en feu, et la peur du sort de sa famille ne le quitte jamais, jour et nuit. Ces préoccupations ont non seulement détruit son rêve d’une vie sûre et nouvelle, mais le poussent chaque
jour un peu plus vers le désespoir et l’anxiété.
Mohammad Mazari, un autre migrant afghan en Suisse, est arrivé il y a environ deux ans et a fait face à de nombreux défis depuis.
Il raconte que la vie en Suisse a été une expérience complexe et parsemée d’embûches. L’une des principales difficultés auxquelles il est confronté est l’apprentissage de la langue et la découverte de la nouvelle culture; cela l’a poussé à consacrer la majeure partie de son temps à l’apprentissage et à l’adaptation à la société. Cependant, le plus grand défi pour lui reste la séparation d’avec sa famille et l’inquiétude constante quant à leur situation en Afghanistan.
Il explique que l’éloignement de sa famille est extrêmement difficile et douloureux. Il pense à eux chaque jour et essaie de rester en contact par appels téléphoniques et messages courts. Mais ces communications virtuelles ne peuvent jamais remplacer la présence physique de ses proches. Chaque jour où il ne peut pas leur parler, il ressent un stress immense. La famille de Mohammad Mazari en Afghanistan fait face à de graves problèmes de sécurité et économiques. Sa femme, qui s’occupe seule de leurs enfants, a du mal à subvenir aux besoins de base de la famille. La situation économique en Afghanistan est extrêmement instable, et il ne peut pas les soutenir autant qu’il le souhaiterait. Il craint que s’il leur arrive quelque chose, il ne puisse pas les aider rapidement ou être à leurs côtés.
La nouvelle de la politique de l’Union démocratique du centre (UDC) visant à empêcher le regroupement familial pour les familles afghanes l’a profondément découragé et attristé. Il affirme que cette annonce a porté un coup dur à son espoir de retrouver sa famille. Il espérait pouvoir un jour les faire venir en Suisse et être à nouveau à leurs côtés, mais cette nouvelle politique rend cet espoir de plus en plus fragile. Mohammad Mazari déclare que cette politique aura des répercussions considérables sur sa vie et celle de sa famille. Sans le soutien familial, il se sent seul et vulnérable dans ce pays. Malgré tous les obstacles, il garde l’espoir que cette politique ne soit pas mise en œuvre et qu’il trouve une opportunité de réunir sa famille. Si la politique est appliquée, Mohammad ne pourra soutenir sa famille que par des aides financières. Il explore également d’autres moyens de les sortir d’Afghanistan.
Mohammad a reçu de l’aide des communautés locales et des organisations de soutien aux réfugiés en Suisse, qui l’ont aidé à apprendre la langue et à se renseigner sur les droits des migrants. Certains Suisses ont sympathisé avec lui et essayé de l’aider à s’adapter à sa nouvelle vie, mais il ressent que tout le monde n’a pas une attitude positive envers les migrants.
Le message de Mohammad aux citoyens et aux décideurs suisses est que les migrants sont aussi des êtres humains ayant besoin de sécurité et du soutien de leur famille. Il dit que les migrants ont fui leur pays dans l’espoir d’une vie meilleure et demande aux Suisses de les comprendre.
L’espoir de Mohammad pour l’avenir est de pouvoir un jour être réuni avec sa famille et mener une vie paisible. Il pense parfois à retourner en Afghanistan, mais tant que la situation ne s’améliorera pas, il prévoit de rester en Suisse. De son expérience migratoire, il a appris que rien ne remplace la famille et conseille aux autres de rester patients et de garder espoir face aux difficultés.
Atiqullah Jafari
A propos de la revue
Cet article est paru dans le 200e numéro de notre revue d’information sur l’asile et les migrations. A cette occasion, nous avons voulu proposer une édition spéciale, sortant de notre habituelle démarche éditoriale. C’est ainsi que le contenu de cette revue a été entièrement rédigé et illustré par des personnes réfugiées.
Pour en apprendre plus sur la démarche, le processus et les perspectives qui s’ouvrent pour la suite, nous vous renvoyons vers le making-off de ce numéro spécial. Bonne lecture!
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Notes
↑1 | Etude qualitative de terrain en cours réalisée par l’auteur à partir d’entretiens avec de nombreuses personnes afghanes résidant en Suisse. |
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