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Notre regard

Santé | Soigner les enfants dans un contexte de migration: un enjeu interdisciplinaire, un engagement pour l’équité

Danielle Othenin-Girard

En septembre 2024, l’association MASM (Médecins action santé migrant·es), a organisé en collaboration avec la Pédiatrie et le Service de Psychiatrie pour enfants et adolescents du CHUV un symposium à l’intention de l’ensemble des professionnels de la petite enfance travaillant autant dans les domaines sociaux, éducatifs, juridiques que médicaux. Une journée de formation réfléchie à partir d’un double constat : les graves manquements dans l’application des droits de l’enfant et la nécessité de changer les pratiques habituelles de soins. Partages d’expériences, apports d’expert-es, réflexions autour d’actions futures ont ouvert la porte à un véritable plaidoyer pour de nouvelles approches afin de préserver la santé de toute personne mineure en situation de migration. Retour sur les points forts de la journée.

Cet article fait partie du dossier – Enfants en exil

Source: Faye David (Canva), modifié

À l’ouverture du colloque, quelques mots d’introduction émanant du monde médical ont suffi pour attester des questionnements en cours. Tout d’abord l’importance de mieux connaître et de faire connaître la Convention relative aux droits de l’enfant. Les médecins eux-mêmes reconnaissent s’être longtemps limités à soigner sans se préoccuper des questions de statuts, de l’extrême précarité qui leur est souvent liée et des conséquences sur la santé. Une pratique soignante de qualité ne peut faire l’impasse sur les droits de la personne et se doit de contribuer à leur application. En particulier dans le domaine de la pédiatrie où c’est le devenir même de l’enfant, son bon développement qui sont en jeu. Évocation aussi d’une prise de conscience des difficultés à agir seul, dans les limites de sa discipline, pour soigner au mieux des enfants rendus très vulnérables par leur parcours migratoire. De fait, ces enfants se retrouvent au carrefour de diverses prises en charge, tant juridique, éducative, sociale que médicale. Des collaborations étroites entre tous les acteurs s’imposent. Cela implique d’apprendre à dépasser les frontières professionnelles, de se familiariser avec d’autres vocabulaires, d’autres référents théoriques, et d’inventer de nouvelles pratiques. 

DES PRÉOCCUPATIONS LARGEMENT PARTAGÉES

Preuve en est la forte participation qu’a suscitée ce séminaire, et surtout l’objectif atteint de rassembler des professionnels de multiples horizons. Parmi les personnes présentes, plus des deux tiers étaient non-médecins. Tout au long de la journée, les thèmes de l’interdisciplinarité et d’une vision globale de la santé furent récurrents.

En soirée, une conférence ouverte au public a porté sur la notion de « santé culturelle », démontrant l’importance, dans l’acte de soigner, du respect des liens culturels, autre composante essentielle de la santé.

DES STRATÉGIES À DÉVELOPPER

Afin de nourrir le débat, trois situations cliniques de suivis d’enfants allant de la période de la périnatalité à l’âge préscolaire ont été présentées, illustrant des alliances entre intervenant-es, des mises en commun de ressources, des réalisations de soutiens efficaces. S’ensuivit une table ronde qui permit d’analyser les processus clés porteurs de changements. Au cœur de ces processus, le travail en réseau et une communication organisée entre professionnels ont un impact concret. Par exemple:

  • Meilleur dépistage : grâce aux contacts réguliers entre le corps médical et les personnes de terrain à même de transmettre des observations quotidiennes d’enfants en difficultés, les risques de diagnostics et de prise en charge trop tardifs peuvent être évités.
  • Mesures d’accompagnement enrichies : grâce à un large éventail de compétences et d’approches : les différents regards professionnels, outils utilisés, contextes de travail multiplient les chances de trouver un point d’accrochage, une porte d’entrée, pour gagner la confiance et intervenir plus facilement.
  • Gain d’efficacité : apprendre les uns des autres, se faire confiance et déléguer augmente les capacités de suivis et permet de soigner davantage d’enfants.
  • Soutien à la parentalité renforcé : travailler en synergie favorise les rencontres avec les parents, les occasions de les valoriser et de les impliquer. Un atout majeur, les parents étant le facteur essentiel de stabilité pour leur enfant.

Enfin, face au décalage entre la politique migratoire et d’asile pratiquée par la Suisse et les exigences posées par la Convention des droits de l’enfant, collaborer permet d’augmenter les chances d’« alertes » face à des manques de protection, des risques de renvoi ou de grave précarisation de conditions de vie. Pour pouvoir soigner, il faut du temps, de la sécurité. Le débat mené lors de la table ronde a d’ailleurs débouché sur l’utilité d’un Délégué national aux droits de l’enfant, auquel pouvoir adresser des plaintes et revendications.

INTERVENTION DE JEAN ZERMATTEN, JURISTE

Invité à cette journée de réflexion, Jean Zermatten, ancien président du Comité des Droits de l’Enfant des Nations Unies, a rappelé que la Convention des Droits de l’Enfant (CDE), qui date de 1989 et n’a été ratifiée par la Suisse qu’en 1997, est contraignante et qu’elle s’applique à tous les enfants, sans discrimination aucune, dès leur naissance jusqu’à 18 ans. Autre point capital : elle introduit la notion d’« intérêt supérieur de l’enfant » (art.3), et par là crée un changement total de paradigme. L’enfant devient un « sujet actif », titulaire de droits propres. Cela implique que tout ce qui concerne son bien-être et ses droits (art.6) constituent des critères qui doivent faire partie intégrante de toute procédure et prise de décision, et faire l’objet d’une considération primordiale. L’enfant a le droit d’être entendu et son opinion doit être prise au sérieux (art. 12).

Il en appelle donc à tous les efforts pour l’application d’une telle éthique, bien loin d’être réalisée en Suisse. Une solidarité interdisciplinaire est à ce titre absolument nécessaire, estime-t-il, se félicitant du dynamisme, des capacités d’invention et de la volonté de collaborer qui ont émergé de divers champs professionnels durant la journée. Des alliances qui doivent continuer à se développer et devenir automatiques. Il salue l’idée d’un Délégué national aux droits de l’enfant, à condition cependant que son mandat inclue la possibilité de recevoir des plaintes.


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