EMPLOI | Insertion professionnelle: la nécessité de partager les bonnes pratiques
Valentine Schmidhauser
«On leur impose de travailler, mais on leur refuse l’accès au marché de l’emploi». Une sentence pour décrire le paradoxe de l’insertion professionnelle des personnes issues de l’asile auquel sont confronté·es celles et ceux qui s’activent à mettre en lien les candidat·es à l’emploi et le monde du travail. Le 6 mai 2025, une vingtaine de job coaches de Suisse romande ont participé à l’atelier Réfugié·es & emploi: au-delà des idées reçues animé par asile.ch sur invitation d’Insertion Suisse[1]Association faîtière nationale de l’insertion socioprofessionnelle. L’occasion d’échanger autour des freins et les leviers à l’embauche des personnes issues de l’asile en Suisse.

Bien qu’omniprésente dans l’actualité, la thématique de l’asile, ses règles et ses statuts restent complexes et mal compris, générant des représentations biaisées susceptibles de freiner l’accès au marché du travail des personnes concernées.
Comment démystifier ce cadre légal, expliciter les droits et compétences de celles et ceux que les professionnel·les accompagnent? Dans le cadre de cet atelier, les professionnel·les de l’insertion ont cherché à mieux comprendre, partager leurs expériences, déconstruire certaines idées reçues et dégager des pistes concrètes en vue de renforcer le dialogue avec les employeur·euses pour mieux accompagner les candidat·es. En petits groupes ils et elles ont tenté d’identifier les leviers à mobiliser et les bonnes pratiques cantonales.
ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE
Le cadre régissant l’accès à l’emploi pour les personnes issues de l’asile est complexe – y compris pour les professionnel·les de l’insertion. Et pour cause: il existe des droits et des démarches spécifiques selon les types de permis.
À la question: «Qui a le droit de travailler en Suisse?», nombre d’entre-elles et eux ont été surpris·es d’apprendre que les titulaires d’un permis N peuvent exercer une activité lucrative dès leur sortie des centres fédéraux d’asile (CFA). Probablement parce que leur intégration professionnelle est peu encouragée.
L’atelier a également permis d’insister sur le décalage entre la théorie et la pratique, en particulier concernant la stabilité associée aux différents types de permis. Tel est le cas du permis F, appelé «admission provisoire», une dénomination trompeuse: le besoin de protection de leurs titulaires, généralement fondé sur une situation de guerre ou de conflit armé, est reconnu et leur renvoi de facto inexigible ou illicite. La plupart de ces personnes resteront donc durablement en Suisse, la situation dans leur pays d’origine ne présageant pas d’amélioration. «Du temporaire à long terme», sourit un participant.
À CHAQUE DÉFI, SA SOLUTION
L’instabilité associée au permis F (renouvelé chaque année) est régulièrement invoquée par les entreprises comme un frein lorsqu’il s’agit d’embaucher un·e candidat·e. Or, à l’heure où le marché du travail suisse connaît un fort turnover – y compris parmi les employé·es «indigènes» –, la crainte que la personne «ne reste pas» peut être levée par quelques arguments simples. D’abord, ce que représente le fait d’avoir un emploi pour un·e titulaire du permis F. Car tout l’enjeu se situe ici: l’emploi agit comme un levier de stabilisation permettant de s’affranchir de l’aide sociale, condition nécessaire à l’obtention d’un permis B ou d’autres droits parfois fondamentaux. Le travail est donc un gage de reconnaissance et d’engagement sur le long terme.
À cette appréhension s’ajoute la crainte des employeur·euses face à la charge administrative. Or, si le cadre légal de l’asile est complexe, les démarches liées à l’engagement sont relativement simples. C’est justement là que l’accompagnement des professionnel·les de l’insertion est primordial: en prenant en charge une partie des formalités, en anticipant les délais – parfois serrés dans le cas de contrats temporaires – et en facilitant les échanges, ils·elles contribuent à simplifier les processus et à rassurer les entreprises.
Les professionnel·les jouent aussi un rôle clé pour lever les obstacles liés à la langue. Lorsqu’un·e candidat·e dispose des compétences techniques requises mais rencontre des difficultés linguistiques, plusieurs solutions peuvent faciliter son embauche: cours ciblés, stages d’immersion ou encore des aides fédérales permettant de compenser temporairement le salaire. Des points réguliers sur la progression – souvent très appréciés – permettent aussi de maintenir un dialogue constructif avec les entreprises. Car l’expérience de terrain le montre: l’immersion accélère significativement l’apprentissage, à condition de laisser aux candidat·es l’occasion et le temps de faire leurs preuves.
La mobilité constitue aussi un frein réel à la signature d’un contrat lorsqu’il s’agit de pouvoir accéder à un lieu de travail éloigné du domicile ou mal desservi par les transports publics, les bénéficiaires de l’aide sociale ne pouvant pas posséder leur propre véhicule. Les job coaches peuvent plaider pour des solutions telles que le covoiturage ou des horaires adaptés, en attendant que l’employé·e dispose d’une autonomie financière suffisante. Faciliter l’accès au permis de conduire est également une mesure améliorant l’employabilité, surtout dans certains secteurs où la mobilité est indispensable. Les participant·es vaudois·es à l’atelier mentionnent par exemple un programme cantonal accessible dans certains secteurs professionnels. Autant de pistes concrètes dont il est possible de s’inspirer.
INFORMER ET ACCOMPAGNER
Les professionnel·les de l’insertion sont des intermédiaires privilégié·es entre les candidat·es et les entreprises. Ils sensibilisent, informent et rassurent dans l’accompagnement qu’ils et elles proposent. Venu·es de toute la Suisse romande, ces job coaches ont toutes et tous souligné l’intérêt de partager leurs stratégies et les pratiques locales qui mériteraient d’être soutenues dans d’autres cantons. Plus qu’un simple échange, cette rencontre a permis de dégager une vision commune: l’accès au marché du travail ne dépend pas uniquement des compétences individuelles des candidat·es issu·es de l’asile, mais aussi de la capacité collective à lever les obstacles qui entravent leur insertion, qu’ils soient administratifs, structurels ou symboliques.
L’information a un coût. Notre liberté de ton aussi. Pensez-y !
ENGAGEZ-VOUS, SOUTENEZ-NOUS !!
Notes
| ↑1 | Association faîtière nationale de l’insertion socioprofessionnelle |
|---|