Aller au contenu
Comptoir

Criminalité des personnes étrangères: pratiques médiatiques comparées

Elodie Feijoo

La question de la criminalité des personnes étrangères n’a rien de nouveau et revient régulièrement dans le débat public. En 2019, Swissinfo titrait déjà «Pourquoi en Suisse 7 prisonniers sur 10 sont-ils étrangers? ». Plus récemment, Donald Trump a évoqué lors de son discours à l’ONU que 72 % des personnes incarcérées en Suisse sont d’origine étrangère — un timing parfait pour l’initiative de l’UDC «Pour la protection des frontières », déposée le lendemain et dénonçant une supposée «criminalité importée». Dans ce contexte suisse et international, la manière dont les médias relaient, contextualisent et analysent les données est décisive. Cet article propose une brève comparaison de plusieurs pratiques médiatiques, en mettant l’accent sur le choix des experts et les facteurs explicatifs mobilisés: caractéristiques sociodémograhiques, discriminations policières et judiciaires, mais aussi stigmatisation (injustifiée) des personnes issues de l’asile.

La RTS

  • Expert: André Kuhn, criminologue et professeur de droit pénal à l’Université de Neuchâtel
  • Facteurs explicatifs: caractéristiques sociodémographiques (sexe, âge, statut socio-énomique et niveau de formation); raisons structurelles (surreprésentation en détention provisoire)

Dans la Matinale du 26.09, la RTS a fait le choix d’interviewer le criminologue et professeur de droit pénal à l’Université de Neuchâtel André Kuhn. Celui-ci a mis en avant que les personnes étrangères ne peuvent pas bénéficier de bracelets électroniques ou de travail d’intérêt général comme mode d’exécution de peines, et qu’elles sont surreprésentées en détention provisoire en raison du risque de fuite considéré comme élevé. Elément également important à souligner: certaines infractions ne peuvent être commises que par des étrangers (LEI). Le journaliste conclue que « 72%, un chiffre élevé donc mais trompeur s’il est sorti de son contexte ». Cet entretien a été complété par une analyse sur RTS info qui mobilise les éléments explicatifs du hors série d’asile.ch daté de mars 2013 et intitulé « Comment s’explique la surreprésentation des étrangers dans la criminalité?« .

Dans notre hors série, André Kuhn précise que ce sont les variables sexe, âge, statut socio-économique et niveau de formation qui expliquent l’essentiel de la criminalité (et dans cet ordre). La nationalité, en elle-même, n’explique rien de plus. En effet, la population migrante étant composée de manière surreprésentée de jeunes hommes défavorisés, la variable «nationalité» est comprise dans les autres et n’explique aucune part supplémentaire de la criminalité par rapport aux autres variables prises en considération. Une exception existe toutefois : lorsque l’immigration provient d’un pays en guerre, le contexte de violence peut favoriser un phénomène de « brutalisation », qui fait de la nationalité un facteur supplémentaire. Au contraire, lorsque l’immigration provient de pays non en guerre, la nationalité n’explique rien de plus que ce qui est déjà expliqué par les quatre premières variables.

24 heures

  • Expert: Benjamin Brägger, expert en exécution des peines
  • Facteurs explicatifs: taux d’étrangers, tourisme criminel, usage plus fréquent de la détention fermée (risque de fuite), « délits liés au statut d’asile« 

Dans l’article relayé par 24 heures (publié initialement en allemand par le Tages-Anzeiger), Benjamin Brägger, expert en exécution des peines, est interviewé. Il souligne le taux élevé d’étrangers en Suisse, l’usage plus fréquent de la détention fermée et le « tourisme criminel » de bandes organisées venues de l’étranger. Il cible également « les étrangers ayant commis des délits liés à leur statut d’asile. Ces personnes sont soit en procédure d’asile depuis longtemps, soit ont déjà essuyé un refus définitif. »

Qu’entend-t-il par délit lié au statut d’asile? La production de faux documents dans le cadre d’une demande d’asile? Non. Il fait référence à des infractions telles que des bagarres ou du trafic de stupéfiants, attribuées à des «jeunes dépourvus de statut de séjour légal [qui] n’ont rien à perdre et commettent donc des infractions « pour gagner un peu d’argent, parce qu’ils ne peuvent pas travailler légalement« ». Celle analyse stigmatise injustement les personnes issues de l’asile. Tout d’abord, les personnes dont la demande d’asile est en cours séjournent légalement en Suisse et peuvent travailler dès leur sortie d’un centre fédéral. Quant à la soit-disant absence de volonté d’intégration. Rappelons que l’intégration est un processus réciproque entre populations suisse et étrangère.

Il est important de souligner qu’il n’observe que les individus condamnés, ce qui exclut notamment les procédures classées sans suite, les peines alternatives, ainsi que la détention povisoire. Il n’a également pas de vision d’ensemble lui permettant de constater les possibles discriminations policières, d’accès à la défense, de différences dans les peines infligées, etc. Son analyse repose donc sur un sous-échantillon — les personnes condmanées et incarcérées — et ne permet pas d’observer d’éventuelles discriminations intervenant avant la condamnation.

Watson

  • Expert choisi: chercheur spécialisé dans la criminalisation de la migration
  • Facteurs explicatifs: discrimination policière et judiciaire; criminalisation de la migration

L’approche de watson a été pragramtique. Le média a saisi l’occasion pour republier un interview daté du mois de mai avec Luca Gnaedinger, doctorant à l’Institut de géographie de l’Université de Neuchâtel et associé au nccr – on the move. Sa recherche indique que la surreprésentation des personnes étrangères dans les prisons suisses est le résultat de politiques discriminatoires. Elle ne s’explique ni par une hausse de la criminalité, ni par le nombre de personnes étrangères, mais par la discrimination policière et judiciaire (profilage racial, détention provisoire plus fréquente) tout au long de la procédure dès les premières interactions avec la police jusqu’à la condamnation, ainsi que la criminalisation croissante de l’immigration.

Luca Gnaedinger a participé à un point presse migrations organisé par asile.ch et le nccr-on the move le 02.09.25.

Par criminalisation de la migration, il faut comprendre: «La transformation par le droit d’un comportement en délit ou en crime ; en l’occurrence, certaines formes d’immigration». En Suisse, une condamnation pour « séjour illégal » est passible d’un an de prison, voire trois si les autorités ont été induites en erreur. Découvrez l’enregistrement vidéo ainsi que les slides ici.