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Notre regard

Procédure 24 heures: une accélération au détriment des droits

Guillaume Brégert, juriste, Caritas Suisse

Depuis avril 2024, le Secrétariat d’État aux migrations (SEM) traite la majorité des demandes d’asile des personnes originaires des principaux pays du Maghreb (Algérie, Libye, Maroc et Tunisie) par le biais d’une nouvelle procédure dite «24 heures» qui vise explicitement à «délester» le système de l’asile[1]SEM, Fiche d’information : Procédure en 24 heures visant à délester le système de l’asile, 1er mars 2024.. Cette procédure expresse repose sur des modalités, une planification et une temporalité différentes du processus classique d’examen des demandes de protection. L’ensemble des étapes décisives doivent en effet en principe se dérouler sur deux jours ouvrables, ce qui impacte fortement l’accès à l’information et à la protection juridique, l’établissement des faits déterminants et l’exercice du droit d’être entendu des personnes concernées. Par ailleurs, les conséquences à un manquement de l’obligation de collaborer (absence ou retard non justifiés à un entretien auprès du SEM) aboutissent à la radiation immédiate de la demande d’asile. La procédure 24 heures a donc un impact important sur les garanties procédurales fondamentales. Elle n’a pourtant fait l’objet d’aucun examen approfondi de la part du Tribunal administratif fédéral (TAF) et devrait davantage mobiliser les milieux de défense du droit d’asile.

QUEL DROIT À L’INFORMATION ET À UNE PROTECTION JURIDIQUE EFFECTIVE ?

Le droit à l’information et à une protection juridique effective est une composante essentielle des garanties de procédure. En pratique, les personnes concernées reçoivent un flyer d’informations au moment du dépôt de la demande d’asile mentionnant la présence de la protection juridique qu’elles rencontrent de manière groupée le premier jour de la phase cadencée en 24 heures, c’est-à-dire la veille de l’audition sur les motifs d’asile ou l’entretien Dublin. C’est dans ce cadre qu’elles devraient être informées sur le déroulement et les étapes principales de la procédure, sur le rôle des différents acteurs, notamment de la représentation juridique, ainsi que sur leurs droits et obligations.
L’expérience acquise depuis la mise en oeuvre de la procédure «24 heures» met en lumière de réelles difficultés pour la protection juridique à respecter son mandat, à savoir établir le contact avec les personnes concernées et les informer sur les modalités de la procédure et sur ce qui est attendu d’elles. Confrontées à une multitude d’informations, à une pluralité d’acteurs dans les CFA et à des enjeux procéduraux à très brève échéance, elles n’ont de fait que peu de prise sur le déroulement de la procédure dont elles peinent à comprendre le fonctionnement. Elles ne disposent généralement que d’un faible niveau de scolarisation, proviennent de pays notablement touchés par l’illettrisme et laissent en général apparaître un isolement et une santé altérée, notamment en raison de la prise d’anxiolytiques et de troubles psychiques. À cela s’ajoute le fait que le champ d’action fondamental de la protection juridique concernant la récolte d’informations, la prise de connaissance des dossiers, la création d’un lien de confiance, la détection des spécificités et des indices de vulnérabilités, le traitement et l’évaluation d’éventuels moyens de preuve et les échanges d’écritures avec l’autorité, est réduit à sa part congrue et se limite dès lors pour l’essentiel à la préparation et à l’accompagnement aux entretiens.

DEVOIR D’INSTRUCTION RELATIVISÉ ET ÉROSION DU DROIT D’ÊTRE ENTENDU

Les modalités d’application de la procédure «24 heures» modifient sensiblement le processus usuel d’établissement des faits pertinents et affectent de manière significative l’exercice du droit d’être entendu. Sa mise en oeuvre induit par ailleurs une planification ad hoc des auditions: d’une durée plus courte, elles s’enchaînent de manière continue sur une journée. À l’absence d’un entretien sur les données personnelles (EDP) répond une phase préparatoire expresse. En 24 heures, les personnes devraient être en mesure de faire valoir leurs problèmes de santé et leurs besoins spécifiques, de transmettre ou de se procurer d’éventuels moyens de preuve et finalement de se préparer, en toute connaissance de cause, à l’étape fondamentale de l’audition sur les motifs d’asile ou de l’entretien Dublin.
Gardant à l’esprit que le droit d’être entendu exige que toute personne en procédure d’asile soit assistée, informée et représentée de manière complète et efficace dès le début de la phase préparatoire, tout en prenant une part active à sa procédure, on est en droit de se demander si cette garantie procédurale fondamentale est à ce jour encore (suffisamment) respectée.
Concernant l’équilibre nécessaire entre le devoir d’instruction du SEM et le devoir de collaborer, les particularités de la procédure 24 heures devraient en principe renforcer les obligations du SEM en ce qui concerne l’établissement des faits, la détection et la prise en compte des indices de vulnérabilité et plus généralement l’instruction complète des dossiers avant de rendre une décision. En pratique, on assiste pourtant à la tendance inverse. Le recours de manière intensive à la radiation des demandes d’asile est illustratif de ce paradoxe.


RADIATION IMMÉDIATE DE LA DEMANDE D’ASILE EN CAS D’ABSENCE OU DE RETARD À UNE ÉTAPE DE PROCÉDURE
Le manquement au devoir de collaborer des personnes en procédure 24 heures, notamment en n’honorant pas une convocation pour une étape de procédure auprès du SEM (prise des empreintes digitales, entretiens formels) ou en raison d’un retard à une convocation, conduit, en l’absence de motif valable invoqué, à la radiation immédiate (le jour même, voire le lendemain) de la demande d’asile qui devient dès lors sans objet. En conséquence, les personnes concernées doivent quitter sans délai le CFA. La radiation constitue un acte lourd de conséquences puisqu’il aboutit non seulement au renoncement matériel de la demande d’asile durant un délai d’attente de trois ans, mais aussi à la renonciation du droit d’être entendu et de l’examen d’éventuels obstacles à l’exécution du renvoi.
Son utilisation intensive en procédure 24 heures, étendue depuis juin 2025 à l’ensemble des procédures d’asile [2]Depuis juin 2025, cette nouvelle pratique de radiation expresse de la demande d’asile est appliquée àl’ensemble des personnes en procédure d’asile, indépendamment de leur nationalité ou de … Lire la suite, soulève d’importantes questions quant à la proportionnalité de ces « décisions » de classement formel qui ne peuvent par ailleurs pas faire l’objet d’un recours auprès du TAF. Plus fondamentalement, elle inquiète quant à la tendance actuelle très nette à faire prévaloir une logique d’efficience administrative et formaliste dans la procédure d’asile, au détriment de sa fonction première qui est d’examiner et de répondre à un besoin de protection.


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Notes
Notes
1 SEM, Fiche d’information : Procédure en 24 heures visant à délester le système de l’asile, 1er mars 2024.
2 Depuis juin 2025, cette nouvelle pratique de radiation expresse de la demande d’asile est appliquée à
l’ensemble des personnes en procédure d’asile, indépendamment de leur nationalité ou de leur situation personnelle.