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Notre regard

Décryptage | Fouiller les téléphones portables des demandeurs d’asile? Contestable, inefficace et forcément coûteux

La Commission des institutions politiques du Conseil national a mis en consultation le 20 février 2020 un avant-projet de loi donnant la possibilité au Secrétariat d’État aux migrations (SEM) de saisir les données des téléphones portables des requérant-e-s d’asile à des fins d’identification et de les stocker pendant un an. Mettant en œuvre l’initiative parlementaire 17.423 «Obligation de collaborer à la procédure d’asile. Possibilité de contrôler les téléphones portables», la Commission entend rendre la mise à disposition des données mobiles obligatoire lorsque la personne requérant l’asile ne peut prouver son identité par d’autres moyens. Le rapport argue que cette mesure «[simplifie] l’établissement de l’identité des requérants» et qu’elle «est absolument proportionnée au travail qu’elle implique.» Et de citer l’exemple d’autres pays, en particulier l’Allemagne, où elle est déjà en vigueur. Or, ce pays, justement, a rendu un bilan chiffrant l’inefficacité de la mesure. Une simple recherche en ligne suffit pour trouver plusieurs articles de journaux allemands s’en faisant l’écho. De plus, la Commission avoue ne pas pouvoir chiffrer la surcharge administrative et les coûts inévitables de cette disposition. Elle n’en promet pas moins des économies! Seule une minorité de la Commission a jugé que la méthode «constitue une atteinte excessive à la sphère privée des intéressés».

Personne migrante à Alexandropouli (Grèce, région de l’Evros). Photo: Alberto Campi, 2012

Notion de consentement bien relative
L’initiative pose problème à différents niveaux. Premièrement, si les auteurs du texte insistent sur le fait qu’il n’est «pas prévu de saisir les supports de données mobiles des personnes concernées sans leur consentement», la réécriture de l’art. 8 prévoit qu’un refus par le requérant «de collaborer peut conduire en dernier ressort au classement de la demande d’asile». Dans de telles circonstances, une personne requérant l’asile peut-elle réellement faire valoir un non-consentement à l’inspection de son téléphone ? Par ailleurs, l’avant-projet de loi va plus loin que l’initiative parlementaire, en étendant la saisie et l’analyse des données électroniques personnelles à la phase d’exécution des renvois et non plus à la seule procédure d’asile. Ainsi, si la personne déboutée refuse la saisie, son refus peut conduire à «l’application des mesures de contraintes», en d’autres termes à une mise en détention administrative.

Piètre bilan en Allemagne
La Commission affirme que la procédure reste «proportionnée au travail qu’elle implique». Pour ce qui est de la proportionnalité, le bilan publié par l’Assemblée parlementaire allemande en mars 2019 après 18 mois d’application montre que la mesure n’atteint en réalité pas son but, à savoir faciliter l’identification des demandeurs d’asile (voir pp. 28-29). Selon ce document, les analyses des supports de données n’ont apporté aucune information utilisable dans 64% des situations. Elles ont permis de confirmer l’identité des personnes dans 34% des cas et de la réfuter dans 2% des cas seulement. Ainsi, l’inspection des téléphones et autres appareils électroniques n’a eu de réel impact que sur une minorité des demandes d’asile. Pour la grande majorité, l’effet a été nul. La mesure porte donc atteinte de façon disproportionnée à la vie privée, sans apporter d’informations nouvelles pour autant.

Bureaucratie, surcharge et coûts à prévoir
De plus, il ressort du rapport de la Commission que la mise en place de cette procédure dans deux centres fédéraux dans le cadre d’une phase pilote a entraîné un surcroît de travail, alors même que les demandes d’asile étaient au plus bas. Étendre la démarche au niveau national exigerait «des ressources supplémentaires», notamment en cas de hausse du nombre de demandes d’asile. Des charges que «le SEM n’est pas en mesure à ce stade de chiffrer précisément» mais qu’il espère pouvoir «compenser à l’interne».
Quant aux investissements à prévoir pour «l’acquisition, la mise en place et l’exploitation de nouveaux composants informatiques, ainsi que pour les prestations d’interprétariat supplémentaires et la participation de représentants juridiques», le rapport le dit sans ambages: «Il n’est pas non plus possible pour l’heure de détailler les coûts.»

Des économies, vraiment ?
Qu’à cela ne tienne : la Commission assure qu’«au vu des enseignements tirés lors du projet pilote du SEM et des expériences recueillies par d’autres États […] cette nouvelle possibilité permettra très vraisemblablement à terme de réaliser des économies, notamment en matière d’exécution des renvois.»
C’est bien connu, les promesses n’engagent que ceux qui y croient !

Orphée Mouthuy / Sophie Malka
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