No Frontex | 7 arguments phares décryptés
Depuis plusieurs mois la campagne référendaire pour refuser une augmentation financière et humaine du soutien de la Suisse à Frontex bat son plein. La remise en cause des actions et procédés utilisés par l’Agence européenne des gardes-côtes et gardes-frontières n’est pas nouvelle. Elle va de pair avec l’explosion exponentielle de sa taille, son budget et son armement. Les partisans du « oui » ont néanmoins réussi à dévier le message principal en menaçant d’une exclusion automatique des accords de Schengen & Dublin en cas de « non ». Ce qui est faux.
Parce que ce vote est avant tout l’occasion de rappeler la nécessaire inconditionnalité de l’accès à une protection pour les personnes réfugiées; d’exiger des pratiques plus transparentes et un organe de contrôle indépendant pour la plus grosse agence de l’Union européenne; Vivre Ensemble a préparé un décryptage des arguments forts de la campagne issus et accompagnés de sources diverses. Envoyé via newsletter à notre lectorat et aux journalistes, nous reproduisons son contenu ci-dessous.
Une page Wikipédia est consacrée au « Référendum contre l’augmentation du financement de Frontex par la Confédération Suisse ». Vous pouvez vous aussi contribuer à la documenter.
FAUX. Dire « non » à Frontex n’implique pas une exclusion automatique de Schengen
- Le vote ne porte pas sur un « non à Frontex ou à Schengen » mais sur les modalités de notre participation définies dans un projet de loi suisse. La Suisse a la possibilité d’adapter sur le plan législatif les lois de mise en œuvre des directives de l’Union européenne.
- Un « non » demanderait aux autorités suisses, si elles le souhaitent, de retravailler sur un nouveau projet législatif. Celui-ci pourrait inclure des mesures de compensation humanitaires qui avaient été proposées par la Commission de la politique de sécurité du Conseil des États.
- Ces mesures ont été écartées, non parce que ce n’était pas possible, et aurait exclu la Suisse de Schengen, mais par choix: Ueli Maurer et Karin Keller Sutter ont pesé de tout leur poids pour exclure toute mesure en ce sens et le Parlement l’a suivi.
(Une exclusion automatique de Schengen ? Sophie Malka, Vivre Ensemble, avril 2022) - En cas de non, le Conseil fédéral ne serait pas obligé de notifier « automatiquement » aux Européen·nes la décision de rejet de l’arrêté fédéral mais pourrait simplement lui indiquer que le processus législatif a repris. «L’automatisme ne s’applique que si la Suisse signale activement une non-reprise à Bruxelles » (Fabian Molina – PS) L’argument semble avoir été ajouté dans le matériel de vote sur pression du Département fédéral des affaires étrangères.
(La Suisse sortira-t-elle «automatiquement» de Schengen avec un non à Frontex? Ruedi Studer, Blick.ch 27.04.2022) - La Suisse a déjà du retard dans la reprise de cette réglementation européenne, ce n’est pas la première fois. Personne n’a intérêt à une sortie de la Suisse de Schengen. Ni le Parlement, ni le Conseil fédéral, ni l’Europe :
« Rainer J. Schweizer, professeur de droit public, de droit européen et de droit international public à l’Université de Saint-Gall, rappelle[…] que la Suisse a repris depuis 2008 environ 370 actes juridiques de l’UE dans le cadre de Schengen et de Dublin, et que l’interdépendance de nombreuses institutions telles que la police, la justice, les autorités douanières et fiscales ne permet pas d’exclure automatiquement la Suisse des accords d’association à Schengen et Dublin par la «clause guillotine». Un accord global de sortie sur le modèle de l’accord de sortie du Brexit serait en effet nécessaire »
(Référendum sur Frontex, : la perspective des droits humains, ch, 07.04.22). - La menace proférée par les représentantes d’economiesuisse et du Centre de lancer un référendum contre une éventuelle future loi amendée de mesures d’accompagnement en cas de non le 15 mai (Forum, RTS, 26.04.22) montre que l’argument de la clause guillotine « automatique » n’est que théorique pour ne pas dire rhétorique.
VRAI. Frontex sait que des refoulements illégaux se font et a dissimulé et maquillé les preuves
- La pratique des refoulements illégaux (dit pushbacks en anglais) aux frontières européennes constitue une violation du droit européen et international. En effet, la Convention de Genève (1951) autorise les personnes même sans permis de séjour à entrer dans un pays pour y déposer une demande d’asile. Refouler sommairement des personnes arrivant par la mer sans leur laisser la possibilité de déposer une demande d’asile constitue donc une violation du droit international.
(Cour européenne des droits de l’Homme, Hirsi Jamaa et autre c. Italie, arrêt 23.2.2012) - De nouvelles révélations du journal Der Spiegel et de la cellule d’investigation Lighthouse report[1] (17.03.21) montrent que la direction de l’agence Frontex sait depuis début 2020 que les autorités grecques pratiquent des refoulements illégaux, qu’elle en avait les preuves, qu’elle les a dissimulées, contribuant à ce que ces pratiques se poursuivent. Ces preuves dissimulées s’ajoutent aux témoignages et autres éléments à charge collectés par l’Organe antifraude de l’UE (OLAF) durant ses investigations. Le rapport Olaf, qui reste pour l’heure classé confidentiel, semble impliquer son directeur Fabrice Leggeri et deux autres membres de la direction de Frontex -la Suisse a deux représentant·es au conseil d’administration de l’agence- dans la dissimulation de preuves liées aux refoulements. La pression monte pour que le rapport d’OLAF soit rendu public. Même les député·es européen·nes chargé·es du contrôle de Frontex n’en ont reçu qu’un résumé oral.
(Frontex-leaks | Que savait le Conseil Fédéral des pushbacks en Grèce ? Sophie Malka, 12.04.2022, asile.ch)
(The first steps of Frontex Accountability : Implication for its legal Responsibility For Fundamental Rights Violations Mariana Gkliati, Professor of International and European Law, 2021)
VRAI. Frontex n’a pas de mécanisme indépendant de contrôle ce qui rend son fonctionnement opaque
- Les dés sont pipés : Frontex participe aux activités tout en ayant la tâche d’en surveiller le respect des droits fondamentaux. Et elle dépend des gouvernements nationaux pour enquêter sur leur propre comportement fautif. Une relation circulaire à l’abri des regards que vient de détailler Le Monde et l’association de journalistes Lighthouse report.
(Frontex, l’agence européenne de gardes-frontières, a maquillé des renvois illégaux de migrants en mer Egée, Le Monde, 28 avril 2022)
Frontex a dû mettre en place une multitude de mécanismes de contrôle qui devraient formellement garantir le respect des droits fondamentaux. Dans la réalité, ils n’aboutissent ni à une obligation contraignante de rendre des comptes ni à un contrôle efficace du travail aux frontières
(La poudre aux yeux. Le système de responsabilité de Frontex Lena Karamanidou 2021) - Si l’expansion de Frontex prévoit une augmentation des agent·es dédié·es à l’observation du respect des droits humains, comme le soulignent les partisans du « oui », le mécanisme de contrôle prévu n’est pas indépendant. Or, tant qu’un monitoring indépendant n’est pas mené, la transparence des agissements n’est pas réalisée.
(Frontex : Watching the Watchers, Correctiv, 2019 )
FAUX. Voter « oui » ne permet pas d’améliorer les droits humains
- Le système actuel où deux délégué·es de la Suisse siègent au conseil d’administration de Frontex n’a pas empêché des violations des droits fondamentaux d’être commises. Lors de la conférence de presse de lancement de la campagne du Conseil fédéral sur la votation du 15 mai, Marco Benz, vice-directeur de l’ Office fédéral de la douane et de la sécurité des frontières l’un des deux représentant assurait que tout allait bien.
(Frontex : des « prétendues » violations des droits humains ? Sophie Malka, Vivre Ensemble, avril 2022) - L’opacité reprochée à Frontex se prolonge en Suisse. Un article du Temps a été censuré par l’Office fédéral de la douane et Marco Benz refuse de donner des interviews aux médias suisses en affirmant que le Conseil fédéral devait faire campagne. La RTS a également dénoncé l’impossibilité de pouvoir envoyer des journalistes pour accompagner des missions de Frontex. L’excuse donnée étant celle de ne pas mettre en danger ses collaborateurs.
(Frontex : un article du Temps censuré Michel Guillaume 25.04.2022, Le Temps)
(Le difficile travail des journalistes autour de la votation de Frontex, RTS, Camille Degott, 29.04.2022) - Pour pouvoir faire changer les choses il est important de savoir comment la Suisse s’engage. Une lettre ouverte a été lancée par Frontex-leaks en Suisse pour demander au Conseil fédéral qu’il apporte de la transparence sur les actes reprochés aux dirigeants de Frontex et sur les informations transmises via ses représentants au Conseil d’administration, ceci avant la votation du 15 mai.(Lettre ouverte pour que le Conseil fédéral fasse transparence sur les pushbacks couverts par Frontex, Frontex-Leaks)
- Il importe de rappeler qu’en tant que membre de Frontex, la Suisse est responsable des actions menées par et sous la supervision de l’Agence. De rappeler aussi qu’être témoin de violations des droits fondamentaux mais détourner le regard rend complice et contribue à la poursuite des faits dénoncés.
VRAI. L’accès à une protection pour les personnes qui ont le droit à l’asile est régulièrement entravée
- Entre mars et septembre 2020, quatre gardes-frontières suisses ont participé à la mission Evros dans le domaine de la surveillance des frontières. L’Evros est le fleuve frontalier entre la Grèce et la Turquie. La région frontalière est une zone difficile d’accès et fortement militarisée. Depuis des années, il existe des rapports faisant état de pushbacks systématiques de la région, principalement par les autorités grecques – mais avec l’aide directe et indirecte du personnel de Frontex.
(Die Pushbacks-Agentur, Lorenz Naegeli, Die WOZ, 19.11.2020) - Une enquête menée par la NZZ publiée le 17.04.2022 démontre que si les habitant·es de la région sont informé·es et assistent à des refoulements, aucun rapport de Frontex ne mentionne un quelconque incident.
(Frontex rien entendu, rien vu, rien dit Pierre Bühler, Arcinfo, 27.04.22) - Les enquêteurs de Lighthouse Report ont documenté à la fois les actes et la responsabilité de Frontex et des garde-côtes à la frontière grecque, dont la conséquence est le décès de deux personnes en mer
(Aegean Pushbacks lead to Drowning, Lighthouse Report, 2022) - De même, la collaboration de l’Agence avec les garde-côtes libyens, conduisant à des pushbacks vers la Libye est contraire au respect des droits fondamentaux. Comme le dénonce le HCR, l’agence des Nations unies pour les réfugiés: « Ceux qui choisissent de faire la dangereuse traverséeen Méditerranée s’exposent à la noyade en mer et à la traite d’êtres humains. Beaucoup sont refoulés lorsqu’ils arrivent dans un port, et d’autres sont renvoyés en Libye où ils seront placés dans des centres de détention inhumains et seront exposés à la famine, aux abus sexuels et à la torture »
(Frontex in the Central Mediterranean , Lighthouse Reports, 2021)
(La crise en Libye : prêts à tout pour survivre, HCR)
(Back Channel Cooperation : How Frontex Helps Haul Migrants back to Libya Torture Camps, Der Spiegel, Lighthouse reports, ARD, Monitor, 2022)
VRAI. Les fonds européens pour Frontex sont toujours gelés en raison des actes reprochés à Frontex
- Suite aux accusations graves portées contre Frontex et les enquêtes en cours, le Parlement européen a décidé de ne pas approuver le budget de l’agence pour l’année 2022. Malgré la pression pour que l’agence puisse toucher un acompte et fonctionner notamment en lien avec la guerre en Ukraine, les députés européens ont renouvelé leur blocage de 11% du budget le 31.03.2022 car c’est leur seul levier pour que les droits humains soient respectés.
(EU lawmakers refuse to sign off Frontex budget, EU Observer, 01.04.2022) - Pour la Suisse, avoir recours à la pression économique permet de donner un signal clair que les disfonctionnements récents, l’opacité et l’armement expansif de Frontex ne sont pas légitimes et d’appuyer l’action des parlementaires européen·nes.
FAUX. La démission du directeur de Frontex ne montre pas que « les mécanismes de contrôle fonctionnent »
- « L’information est un outil essentiel de notre démocratie. Ce n’est que grâce au travail acharné de journalistes et d’ONG que les actes de Frontex commencent à voir le jour. L’agence a tenté par tous les moyens -y compris par des poursuites financières- d’empêcher leurs investigations. Celles-ci ont contribué au lancement de certaines enquêtes par des organes européens, notamment celle de l’Organe de lutte antifraude de l’Union européenne, dont le rapport a conduit à la démission de Leggeri. »
(Faire sauter la tête ne suffira pas, Sophie Malka, asile.ch, 29.04.22) - Fabrice Leggeri dans sa lettre de démission désigne la schizophrénie du mandat d’une agence de protection des personnes migrantes qui depuis plus années s’arme activement pour répondre à l’injonction de défendre les frontières. D’autres membres de la direction seraient impliqués dans la falsification de preuves de refoulements illégaux de personnes exilées. C’est le fonctionnement de l’agence et les attentes des pays membres qu’il faut revoir. En envoyant un signal fort de la Suisse, cela soutiendra un vent de changements déjà entamé au niveau européen
(Le patron de Frontex Fabrice Leggeri démissionne sur fond d’accusations, RTS Info, 29.04.22)