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Notre regard

Témoignage | Aller-simple vers le Rwanda ?

Le recueil Paroles en exil peut être commandé auprès de parolesenexil@riseup.net, CHF 5.

Avant d’arriver en Suisse, Bereket, originaire d’Érythrée, a connu un long parcours d’exil, passant par l’Éthiopie, le Soudan, la Libye. Faute de parvenir à traverser la Méditerranée, il ira en Israël. Il y restera quatre ans et demi, sans réelle protection, ni droit, ni perspectives, jusqu’à se retrouver devant un «choix» : soit le centre de détention de Holot au milieu du désert, soit un «retour» au Rwanda.

Alors que le Royaume-Uni s’apprête à mettre en œuvre un accord migratoire avec Kigali, son témoignage questionne quant aux coûts humains et financiers d’une opération dont l’efficacité est elle-même peu probable (voir chronique Monde). Nous publions ci-dessous un extrait portant sur son passage dans le pays, qui corrobore d’autres témoignages [1]BBC, « Être envoyés au Rwanda ne nous a pas empêchés d’aller en Europe », Daisy Walsh, 24.06.22.

Le récit complet de Bereket est à lire dans le recueil «Paroles en exil», publié en octobre 2019 par le collectif Sans retour. Il raconte sa fuite d’Érythrée, à 23 ans, après plus de 5 ans de service militaire contraint, marqué par du travail forcé et ponctué de périodes de détention extrajudiciaire. Il avait voulu échapper à un traitement dont il ne voyait pas d’issue, à l’absence de libertés fondamentales, d’avenir. Il raconte aussi sa procédure d’asile en Suisse et la façon dont son récit a été accueilli. Un texte important.

« Un jour où j’allais renouveler mon visa, les fonctionnaires [israéliens] me l’ont refusé:
Non, vous devez partir au Rwanda.
Je devais choisir entre la prison ou la déportation. Impossible de m’échapper, car si la police attrapait un sans-papiers, elle l’envoyait dans un camp de prisonniers au milieu du désert. J’avais déjà vécu cette expérience et, depuis, j’avais des problèmes de peau. Je ne voulais pas y retourner et encore brûler au soleil. J’ai finalement été expulsé d’Israël en mars 2015, quand les autorités ont décidé de me déporter au Rwanda. Comme le voyage transitait par l’Éthiopie, j’ai tenté d’y trouver refuge. J’ai cru que ce serait facile, que je serais en sécurité dans ce pays et que je serais bien traité, car au moins, nous possédions la même culture.

Arrivé en Éthiopie, j’ai exposé mon cas aux douaniers: je venais d’Israël, je ne voulais pas me rendre au Rwanda. Je n’avais aucune idée de ce qu’était le Rwanda, mais j’avais entendu que la situation y était mauvaise et je préférais rester là. Mais les Éthiopiens m’ont renvoyé en Israël.

Le deuxième vol pour le Rwanda, que j’ai été forcé de prendre, faisait escale en Turquie. À l’aéroport de Kigali, nous avons été reçus par des membres des services secrets rwandais qui nous ont confisqué nos laissez-passer.

J’ai voulu voir un responsable, mais ils m’ont répondu:
Ne t’inquiète pas, c’est juste pour l’enregistrement, nous vous rendrons vos papiers à l’hôtel.
Mais les fonctionnaires mentaient. Ils nous ont emmenés en minibus jusqu’à une villa à l’extérieur de la ville.
– Nous devions nous rendre dans un hôtel, pourquoi sommes-nous ici ?
– Ça fonctionne ainsi avec le gouvernement israélien. Deux femmes vous prépareront à manger, elles vous fourniront tout ce dont vous avez besoin.
Ils nous ont dit que, désormais, nous devions suivre leurs instructions et que les renseignements donnés par les Israéliens étaient faux. Nous pouvions rester au Rwanda deux semaines seulement et sous surveillance; ensuite, il nous faudrait traverser illégalement la frontière pour l’Ouganda.
– Quoi, nous sommes arrivés ici légalement, nous sommes en règle et vous voulez nous rendre illégaux ? Si nous n’avons pas le droit de rester, nous avons besoin de nos papiers pour partir. Sans papiers, comment voyager ?
– Ne vous inquiétez pas, nous nous occupons de votre passage en Ouganda, ont-ils répondu.
Je savais que la route était dangereuse parce que des passeurs, rwandais et ougandais, tentaient souvent de voler les trois mille cinq cents dollars américains octroyés par le gouvernement israélien aux personnes expulsées. De plus, à cause de cet argent, des personnes avaient été tuées par la police ougandaise à la frontière. Toutefois, malgré les dangers, notre temps au Rwanda était révolu. Nous sommes restés enfermés deux semaines dans cette maison; ensuite, les fonctionnaires nous ont accompagnés jusqu’à la frontière où des Ougandais nous ont reçus illégalement. Pour ce voyage, nous avons dû payer cent cinquante dollars.

Voilà ma vie. Huit ans après mon départ, j’ai atteint la Suisse. Je suis arrivé en octobre 2015. Je réside en Suisse depuis deux ans et demi et aujourd’hui [avril 2018], j’ai reçu un permis F provisoire. Je m’attendais à mieux. Je suis toujours à la recherche de l’asile. Ma route n’est pas encore finie.»

J’ai séjourné en Ouganda deux ou trois mois, avant d’entreprendre à nouveau un voyage jusqu’en Libye: le sud du Soudan, le nord du Soudan, puis j’ai retraversé le Sahara. Ce fut un long périple, vraiment terrible. Mais j’avais décidé de reprendre ce risque, à cause de toutes ces situations horribles que j’avais vécues sur des terres où je n’avais pu me réfugier. Malgré les dangers, j’avais décidé de risquer une seconde fois ma vie. Sur cette route, chaque passage de frontière est potentiellement mortel. […]

Aujourd’hui…

Bereket a fait recours contre la décision du SEM et a obtenu la qualité de réfugié fin 2019. Il enchaîne les contrats de livreur depuis janvier 2020 et vit avec sa famille à Genève.


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