Procédure d’asile | L’Audition : un film au coeur du huis clos
Juliette de Montmollin
L’audition des demandeurs et demandeuses d’asile par le Secrétariat d’État aux Migrations (SEM) constitue l’étape cruciale de la procédure d’asile en Suisse. Elle représente un moment parmi les plus importants dans la vie de chaque requérant·e. C’est lors de cet interrogatoire approfondi qu’il·elle doit exposer ses motifs d’asile face à l’auditeur·trice du SEM qui prendra ensuite la décision d’octroyer ou non une protection. Effectuée dans la confidentialité la plus totale, que se passe-t-il lors de cette étape décisive? L’Audition de Lisa Gerig lève le voile. Le documentaire met face à face quatre requérant·es d’asile et de vrai·es employé·es du SEM, volontaires à se prêter à l’exercice. Les premier·ères «rejouent» leur propre audition, reconstituant, dans un décor sobre, presque aseptisé, ce qui se déroule durant ces heures d’entretien à huis clos.
«Les mouchoirs sont importants pour pleurer, là-bas on pleure tellement».
Revenir sur son passé lorsqu’il est empreint de moments douloureux, traumatiques et de persécutions qui ont poussé une personne à prendre la voie de l’exil est éprouvant et peut être retraumatisant. C’est ce qui est demandé lors de l’audition: la personne doit replonger dans son parcours de vie et ses motifs de persécution en témoignant de faits exacts. «Vous avez l’obligation de dire la vérité, en n’omettant aucun fait, c’est seulement comme cela que l’on peut juger si vous êtes à risque de retourner dans votre propre pays». Dans une situation qui s’apparente à un interrogatoire et où la pression est forte, il faut réussir à convaincre l’employé·e du SEM en face de soi, sans soutien psychologique.
«C’est comme un petit tribunal. Mon avenir est entre les mains de ces gens.»
Mais comment juger que l’histoire racontée est vraie ? Au fur à mesure que les témoignages avancent, le spectateur s’interroge. Le récit est-il suffisamment plausible et convaincant pour que l’auditeur·trice du SEM octroie une protection? Le film renvoie ainsi à la notion de vraisemblance, qui constitue le cadre des auditions.
Rappelons que ce cadre est posé par l’article 7 de la LAsi, qui stipule que «quiconque demande l’asile (requérant) doit prouver ou du moins rendre vraisemblable qu’il est réfugié». Toutefois, la loi sur l’asile ne définit pas la notion de vraisemblance. Celle-ci est étroitement liée à l’interprétation qu’en fait l’auditeur·trice du SEM, qui doit se forger une conviction personnelle sur la crédibilité du récit. Selon la doctrine et la jurisprudence, la vraisemblance est évaluée selon quatre critères: les allégations doivent être suffisamment fondées, concluantes, plausibles, et apparaître personnellement crédibles. Ces quatre critères semblent a priori relativement souples, et sont donc sujets à des interprétations variées.
De plus, l’évaluation de la vraisemblance lors de l’audition est en grande partie influencée par des difficultés de communication, des différences socioculturelles, mais aussi d’éventuels troubles post-traumatiques ou de la méfiance vis-à-vis des autorités de la part de la personne auditionnée. De l’autre côté, les représentations et la sensibilité des auditeurs·trices influencent aussi l’évaluation du récit, comme le démontrent plusieurs études.
En inversant la situation, le film interroge alors la position des auditeurs·trices du SEM. Les employé·es sont à leur tour «auditionné·es» par les demandeur·euses d’asile, et on en apprend davantage sur les raisons qui les ont poussés à faire ce travail et comment ils·elles le vivent.
Au vu de ces différents enjeux, la procédure d’asile suisse actuelle est-elle vraiment convaincante? Est-il juste de faire ainsi porter le fardeau de la preuve aux victimes ?
En mettant en lumière ces questions fondamentales qui traversent le domaine de l’asile en Suisse, le film de Lisa Gerig réussit un tour de force en révélant le cœur de la procédure d’asile si peu documenté.
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