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Notre regard

Système Dublin : la double peine des familles en attente

Akram Omari

Le système Dublin, instauré pour coordonner les demandes d’asile en Europe, impose des règles strictes sur la responsabilité des États membres. En théorie, ce cadre vise à éviter les demandes déposées dans plusieurs pays et à garantir aux personnes requérant une protection internationale que leur dossier soit examiné de façon équitable par un État membre. En pratique, cette réglementation devient un obstacle majeur à l’intégration et au bien-être des concerné·es, transformant leur attente en un véritable cauchemar. C’est notamment le cas de nombreuses familles avec enfants.

Ayant fui la Syrie en 2012, je me suis retrouvé en Suisse en 2013 avec un visa Schengen polonais. J’ai rapidement découvert que, conformément à la loi Dublin, la Suisse ne souhaitait pas étudier mon dossier d’asile et comptait me renvoyer en Pologne, le premier pays par lequel j’avais transité. Cette expérience de renvoi potentiel a créé une période d’incertitude totale qui a duré 18 mois, durant laquelle mon dossier n’a pas avancé et ma vie était en suspens. J’ai tenté de me rendre en Allemagne, mais j’ai dû retourner en Suisse et attendre.

Illustration: Sara Ashrafi, Intégration

Durant ces 18 mois, je n’avais pas accès à des formations ou à des opportunités d’intégration professionnelle. Tout était figé. En tant qu’individu adulte, j’ai pu faire face. Mais qu’en est-il des personnes vulnérables, des familles avec enfants qui, comme moi, attendent sans pouvoir se projeter dans un avenir stable? Cette situation ne concerne pas seulement ma propre trajectoire.

Le problème-clé du système Dublin est qu’il affecte particulièrement les familles, et plus spécifiquement les enfants. Dans de nombreuses situations, les familles parviennent à rester en Suisse après le dépassement du délai de 18 mois, mais à quel prix? Durant cette période, les enfants ne peuvent pas aller à l’école. Ils sont pris dans un entredeux, où leur avenir scolaire est compromis. Les parents, de leur côté, ne peuvent ni travailler ni entamer un quelconque processus d’intégration sociale ou professionnelle.

L’assistance sociale fournie pendant cette période est minime et à peine suffisante pour couvrir les besoins essentiels, laissant ces familles dans une précarité constante. La conséquence est que ces 18 mois, souvent vécus dans une peur permanente de renvoi, se traduisent par une grande souffrance et une perte totale de temps précieux. Ce qui pourrait être une période de construction et d’intégration devient une phase de stagnation.

Ce n’est pas la loi Dublin en soi qui est le problème, mais son manque de souplesse et son application systématique, même lorsqu’il est évident que le renvoi d’une famille ou d’enfants est impraticable ou inhumain. Il ne s’agit pas de remettre en cause l’idée d’une répartition équitable des responsabilités en Europe, mais de se demander si cette politique doit continuer à punir, indirectement, celles et ceux qui sont les plus vulnérables.

Le coût humain de cette politique est souvent invisible, mais il est réel. Le manque d’accès à l’éducation, la précarité économique, et le stress permanent de l’incertitude affectent durablement ces familles et leurs enfants. Pourtant, ces derniers finissent souvent par rester en Suisse, mais avec des mois, voire des années, de retard sur leurs pairs dans le processus d’intégration.

Il est temps de réfléchir à des alternatives plus humaines et de considérer les enfants comme une priorité dans ces processus. Le système Dublin ne doit plus être une double peine pour les familles qui, en plus de fuir la guerre ou les persécutions, doivent supporter une attente stérile et destructrice. En révisant cette politique, la Suisse et l’Europe pourraient non seulement honorer leurs engagements en matière de répartition des demandes d’asile, mais aussi protéger l’avenir de ces enfants qui ne demandent qu’à s’intégrer et à contribuer positivement à leur pays d’accueil.

A propos de la revue

Cet article est paru dans le 200e numéro de notre revue d’information sur l’asile et les migrations. A cette occasion, nous avons voulu proposer une édition spéciale, sortant de notre habituelle démarche éditoriale. C’est ainsi que le contenu de cette revue a été entièrement rédigé et illustré par des personnes réfugiées.

Pour en apprendre plus sur la démarche, le processus et les perspectives qui s’ouvrent pour la suite, nous vous renvoyons vers le making-off de ce numéro spécial. Bonne lecture!