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Notre regard

Jurisprudence | Déterminer l’âge d’un jeune. Des procédures claires, des enjeux considérables

Prouver sa minorité, une loterie ?

Alors qu’une solide jurisprudence existe sur la procédure à mettre en œuvre pour établir l’âge d’un jeune qui se déclare mineur, les auditeurs du Secrétariat d’État aux migrations (SEM) s’écartent régulièrement des principes à suivre lorsqu’ils rendent des décisions. Les conséquences pour le jeune et l’issue de sa procédure peuvent être considérables. Les juges du Tribunal administratif fédéral (TAF) ont récemment annulé plusieurs décisions du SEM pour décisions viciées et rappelé les règles de procédure. (réd.)

Dessin HERJI, paru dans  l’édition de Vivre Ensemble

Les requérants d’asile mineurs ont droit à une protection particulière du fait de la vulnérabilité découlant de leur âge. Elle se manifeste notamment sur le plan de la désignation d’une personne de confiance, de l’éducation et de l’hébergement, en les logeant dans des foyers adaptés.

Or, il n’est pas aisé de prouver sa minorité au représentant du SEM lors de sa première audition en l’absence de tout papier d’identité (par exemple, en raison de la perte ou du vol du document d’identité lors du voyage ou du fait de n’en avoir jamais eu, comme c’est le cas pour les mineurs dans de nombreux pays).

En cas de doute sur la minorité et en l’absence de documents d’identité, le SEM est tenu de procéder à une appréciation globale de tous les éléments plaidant en faveur ou en défaveur de la minorité alléguée et de motiver sa position de manière détaillée. Il devra ainsi, par le biais de questions ciblées (parcours de vie, scolarité, formation professionnelle, relations familiales, durée de son voyage…), clarifier les données relatives à l’âge du requérant d’asile.

Dans son arrêt de principe du 8 août 2018 (E-891/2017), le Tribunal administratif fédéral a eu l’occasion d’examiner la méthode dite des « trois piliers » (examen clinique médical, examen par radiographie de la main gauche, examen du développement dentaire, et si le développement du squelette de la main gauche est terminé, scanner des clavicules). Il a rappelé que « les méthodes d’évaluation médicales de l’âge appliquées en Suisse constituent des indices à pondérer différemment selon leur résultat pour déterminer si une personne a atteint l’âge de la majorité ». Plus les examens médicaux indiquent, en tant qu’indice, que le requérant est majeur, moins il s’impose de procéder à une appréciation globale des preuves. Cette méthode semble, selon la doctrine, actuellement la meilleure option sur le plan scientifique.

MARGE D’ERREUR DE 2 ANS

Néanmoins, l’examen squelettique de la main gauche repose sur une estimation et comporte une marge d’erreur de deux ans. La société suisse de pédiatrie l’a déjà vivement critiquée pour son manque de déontologie et le peu de fiabilité qu’il présente. L’ancienne commission de recours en matière d’asile (CRA) avait du reste estimé que les résultats de cet examen ne pouvaient remettre en doute les déclarations d’un requérant d’asile que si l’âge estimé différait de plus de 3 ans l’âge déclaré (JICRA 2000 no 19 consid. 8 et 2001 no 23 consid. 4 c).

La CRA avait déjà rappelé que l’estimation de l’âge sur la base de l’apparence physique du requérant revêt une valeur probante fortement amoindrie lorsque l’on se trouve en présence d’une jeune personne prétendant se situer dans la tranche d’âge entre quinze et vingt-cinq ans (JICRA 2005 no 16 consid. 2.3, 2004 no 30 consid. 5 et 6).

UNE PREMIÈRE AUDITION DÉTERMINANTE

Il est enfin utile de souligner que le requérant d’asile ne pourra contester l’appréciation de son âge par le SEM qu’au stade du recours contre la décision d’asile finale. En cas de gain de cause, la décision sera viciée, devra être annulée et la procédure devra être reprise. La prise en charge initiale de ces jeunes est ainsi tributaire de l’analyse effectuée par le SEM lors de la première audition.

Récemment, le TAF a admis deux recours (E-7333/2018 et E-1353/2019) à ce sujet, le SEM n’ayant pas pondéré tous les éléments invoqués et n’ayant pas motivé de manière suffisante sa décision. Le TAF a également souligné que le SEM n’était pas fondé à conclure à la majorité du requérant d’asile sans procéder à une appréciation globale des preuves (arrêt E-7333/2018, consid. 2.3).

Malgré la jurisprudence constante, et les enjeux majeurs découlant de cette problématique, on regrette que le SEM se repose sur un examen médical sans procéder à l’appréciation globale des preuves ou que les questions posées lors de la première audition ne soient pas adéquates ou suffisamment pertinentes.

LINDA CHRISTEN

Juriste, secteur réfugiés CSP– Genève

MINORITÉ : RAPPEL DES ENJEUX PROCÉDURAUX

L’art. 8 du règlement de Dublin III prévoit qu’un demandeur d’asile mineur non accompagné puisse déposer sa demande d’asile dans le pays de son choix, si aucun membre de sa famille ne réside déjà dans un autre pays partie aux accords. Ainsi, lorsque le SEM nie la minorité d’un demandeur d’asile qui a transité par un autre pays membre, il peut par la suite prononcer une décision de renvoi à destination de ce pays, dans le cadre d’une décision de non-entrée en matière fondée sur les accords de Dublin. La reconnaissance de sa minorité lui interdirait en revanche de prendre une telle décision et l’obligerait à admettre sa responsabilité pour le traitement de la demande d’asile.

Ensuite, dans le cadre de la procédure d’asile elle-même, si la minorité du demandeur est reconnue, le SEM doit, avant de considérer un quelconque renvoi vers le pays d’origine, établir qu’il pourra y être pris en charge dans des conditions compatibles avec son intérêt supérieur. En tel cas, la non-reconnaissance de la minorité d’un demandeur d’asile permet au SEM de se dispenser de vérifications poussées sur l’existence d’un réseau familial adéquat ou sur l’existence de structures susceptibles de prendre en charge le mineur, à défaut d’un entourage familial suffisant. Lorsque la minorité est avérée, ces vérifications conduisent régulièrement les autorités à admettre les mineurs sur son territoire, au bénéfice d’une admission provisoire.

MARIE-CLAIRE KUNZ