RMNA et jeunes adultes | Un accueil indigne à Genève
Raphaël Rey
Depuis trois ans, le nombre de requérant·es d’asile mineur·es non accompagné·es (RMNA) a fortement augmenté en Suisse. Majoritairement originaires d’Afghanistan, les RMNA représentaient fin novembre 2022 environ 10 % des demandes d’asile (hors ressortissant·es d’Ukraine), avec 2181 jeunes à demander l’asile. Un nombre proche des années 2015-2016, période durant laquelle les carences en termes d’accueil, d’encadrement, de soins et d’éducation, déjà identifiées notamment à Genève, étaient devenues criantes[1]Sophie Malka, Genève, premiers pas vers une meilleure prise en charge des mineurs, VE 148/juin 2014. Après plusieurs années d’accalmie, qu’en est-il de leur prise en charge dans le canton aujourd’hui ? Retour sur un fiasco, alors que le foyer de l’Étoile doit fermer ses portes au printemps.
2015, un nombre croissant de personnes demandeuses d’asile, mineures et seules arrivent en Suisse. Ces jeunes ont besoin de soutien et la question de leur prise en charge préoccupe, tant les pratiques et dispositifs d’accueil diffèrent selon les cantons[2]Giada de Coulon, Encadrement: des disparités cantonales conséquentes, VE 169/ Septembre 2018. Le manque de lieux d’hébergement adaptés à leurs besoins de mineur·es se double souvent d’une absence de politique spécifique permettant la réalisation de leurs droits, en leur qualité d’enfants. Ils et elles sont souvent d’abord traité·es comme des « migrant·es ».
À Genève, alors qu’une task force travaille depuis 2013 sur la question et préconise des lieux d’hébergement à taille humaine avec encadrement socio-éducatif de qualité, l’Hospice général ouvre en 2016, dans l’urgence, le foyer de l’Étoile, un bâtiment formé de modules préfabriqués en pleine zone industrielle qui peut héberger jusqu’à 200 jeunes. Situé au bord d’une semi-autoroute et entouré de barbelés, le foyer est conçu comme provisoire; d’autres projets sont en cours, notamment à Aïre. Les problèmes – et les critiques – ne se font pas attendre: le centre est trop grand, les espaces communs ne sont pas adaptés au vivre ensemble, le dispositif de sécurité problématique et l’encadrement socio-éducatif des jeunes est autant désarticulé qu’inadapté. Le foyer fait vite l’objet de mobilisations et d’interpellations politiques demandant sa fermeture et un meilleur encadrement.
L’évolution des demandes des RMNA suit la courbe des demandes d’asile globales en Suisse. Leur proportion – environ 10%– du total a été plus importante en 2022 qu’elle n’a été par le passé, où elle ne dépassait pas 7 % des demandes totales.
En février 2018, la Cour des comptes de Genève publie un rapport alarmant. Les lacunes au niveau de l’encadrement et de l’hébergement, déjà identifiées par la task force, portent atteinte à la santé et à la scolarisation des RMNA[3]Sophie Malka, prise en charge des mineurs non accompagnés : un avenir hypothéqué, VE 169 / septembre 2018. En 2019, suite au suicide d’un des résidents, Ali Reza, nouvelles mobilisations. Des assises sur la question des enfants et jeunes migrant·es non accompagné·es sont organisées[4]Actes du collectifs des assise enfants et jeunes migrant·e·s non-accompagné·e·s du 2 et 4 mais 2019. De leur côté, les collaborateur·ices du foyer interpellent les autorités et leur hiérarchie: ils et elles dénoncent leurs conditions de travail et demandent la création de petites structures adaptées, ce que recommande aussi la Cour des comptes[5]Sophie Malka et Daniela Camelo, Genève et RMNA : pétition et motion acceptées, VE 174 / octobre 2019.
Dans la foulée, le Conseil d’État genevois rend public un rapport de la Haute école de travail social Genève et annonce un plan d’action interdépartemental concernant l’hébergement et la prise en charge des RMNA et des jeunes adultes jusqu’à 25 ans, afin d’accompagner le passage à la majorité. Dès 2020 sont annoncés le transfert de la prise en charge des RMNA de l’Hospice général vers la Fondation officielle de la jeunesse (FOJ), l’ouverture de structures d’hébergement plus petites, et surtout la fermeture du centre de l’Étoile.
Une situation qui s’éternise
Des annonces prometteuses. Et puis plus rien. En 2021, éducateur·ices et syndicats dénoncent à nouveau les dysfonctionnements. C’est seulement en 2022 que le contrat de prestation avec la FOJ entre en vigueur: 42 places sont ouvertes, une trentaine de résidents de l’Étoile sont transférés dans les nouvelles structures. Bien loin des besoins réels: fin 2022 environ 140 RMNA et jeunes adultes sont logés à l’Étoile[6]Sylvia Revello, Accueil des requérants d'asile mineurs: Genève a une crise de retard, Le Temps, 2.12.2022; Caroline Zumbach, L'État court contre la montre pour accueillir de jeunes migrants, La … Lire la suite. « Ici, je me sens comme en prison, mes parents me manquent, j’angoisse en pensant à l’avenir», confiait Farid*, 20 ans, dans les lignes du Temps[7]Sylvia Revello, Au foyer de l'Étoile, la désillusion des jeunes requérants d'asile, Le Temps, 19.02.2022. Un projet de centre à Aïre, combattu en justice par des riverains, se débloque uniquement en décembre dernier. Sa construction devrait prendre au moins deux ans[8]ATS, Centre d'accueil pour RMNA: recours rejetés, 9.12.2022.
L’Étoile doit fermer ce printemps, sept ans après son ouverture, sans que ne se dessine de solution acceptable. L’incertitude domine en termes d’hébergement et d’accompagnement social. Un climat anxiogène pour les jeunes, comme pour le personnel qui les encadre. Pour l’heure, les résidents plus âgés sont transférés un par un vers les foyers pour adultes du canton, proches de la saturation. Pour les autres, personne ne sait qui va aller où, quand et selon quelles modalités.
Actualisation du 30.03.2023
Au moment de la sortie papier de cet article, la fermeture du foyer de l'Etoile était prévue pour la fin mars 2023. Depuis, l'Hospice général a annoncé que le déménagement de ses occupants était repoussé, faute de solution[1]. A la fin mars, le foyer est toujours à saturation avec plus de 150 résidents (dont 120 RMNA) et l'option envisagée - l'ouverture d'une structure hôtelière d'une centaine de place pour les 17 ans et plus - ne suffira pas à pallier les besoins d'hébergement. Le projet avec la FOJ est maintenu pour la cinquantaine de places existantes, mais ne sera pas étendu. Le centre d'Aïre, quant à lui, n'ouvrira pas avant 2024. En attendant, ce sont les jeunes qui continuent de trinquer, entassés dans les containers de l'Etoile pour les uns, transférés dans les structures ordinaires ou à Palexpo pour les autres, et tous laissés dans l’ignorance et l'incertitude sur leur avenir[9]Caroline Zumbach, Il n'existe pas d'autre solution que le foyer de l'étoile, La Tribune de Genève, 04.03.2023.
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