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Notre regard

Nouveau pacte sur la migration. Une forteresse Europe qui s’enlise

Julien Vaudroz

Le 20 avril 2023, le Parlement européen a ratifié le très attendu Nouveau Pacte européen sur la Migration et l’Asile (NPMA), censé offrir un « nouveau départ » à sa politique migratoire. Cette annonce intervient trois ans après son lancement par la Commission européenne à la suite du drame de l’incendie du camp de Moria, sur l’île de Lesbos (GR), symbole de l’échec de la gestion migratoire de l’Union européenne (UE). Malgré les promesses de renouveau, le texte s’inscrit dans la continuité : face au risque de divisions entre les vingt-sept, la recherche du compromis a fait pencher la balance vers le plus petit dénominateur commun, restrictif et sécuritaire, au détriment de la recherche d’une justice migratoire.

Une maison ou un bunker ?

Lorsque Margarítis Schinás, vice-président de la Commission européenne, présente le NPMA en 2020, il le décrit comme une maison de trois étages, presque chaleureuse selon ses dires. À l’intérieur, chaque palier représenterait une dimension du pacte européen :

Emile Guillemot sur Unsplash
  • Le rez-de-chaussée constitue la dimension externe du pacte : c’est la poursuite de la politique d’externalisation de la gestion migratoire entamée en 2015 à La Valette avec un Plan d’action conjoint. Par le biais de partenariats bilatéraux avec des pays tiers et des conditions qui comprennent la facilitation ou le blocage de l’obtention de visa, l’UE souhaite faciliter la réadmission des personnes déboutées et endiguer les départs. Cet étage comprend aussi le renforcement du mandat de Frontex dans l’opérationnalisation des retours et dans la mise en œuvre des accords de réadmission.
  • Le deuxième palier est formé du contrôle renforcé aux frontières par le biais d’une détention quasi systématique des personnes migrantes sans titre de séjour dès leur arrivée aux frontières de l’UE. Les personnes sont alors considérées comme étant en zone de transit et pas encore sur territoire européen. Une procédure de tri s’ensuit pour déterminer si les demandeur·euses peuvent entrer en Europe, les autres sont expulsé·es.
  • Enfin le troisième étage comprend le « mécanisme obligatoire de solidarité flexible» censé réformer un tant soit peu le système Dublin, qui, comme l’a récemment montré la déclaration de l’état d’urgence en Italie, cristallise les tensions entre les pays d’entrée de l’UE et ceux à l’intérieur. Ce mécanisme, actionné uniquement en cas « d’afflux massif», propose aux États la possibilité de choisir entre accueillir un·e réfugié·e sur son sol (relocalisation) ou le « parrainage » de son expulsion.

À l’exception du dernier dispositif qui attire l’attention par son apparente nouveauté, les différents volets énoncés restent centrés sur une approche sécuritaire des migrations et ne remettent pas véritablement en cause le statu quo des politiques migratoires européennes. Le chercheur marocain Abdelkrim Belguendouz suggère d’ailleurs de considérer ce pacte comme un bunker à trois sous-sols, plutôt qu’une maison. Un édifice destiné

à fortifier davantage l’Europe en endiguant ou en sélectionnant l’immigration, et en restreignant davantage les voies légales possibles pour les personnes souhaitant rejoindre l’Europe.

Une recherche du compromis au détriment d’une justice migratoire

Le maintien d’une politique de l’indifférence à l’égard des personnes en quête de sécurité est difficile à avaler après les promesses de renouveau articulées par la Commission. Bien qu’opposé sur le fond, le Groupe de l’Alliance progressiste des Socialistes et Démocrates au Parlement européen relativise les critiques à l’égard du pacte, qu’il évalue comme la concrétisation d’une longue recherche de compromis. Un instrument pour restaurer la confiance des membres dans leur institution, mais aussi pour rétablir la cohésion perdue au sein des États membres après la crise de solidarité de 2015. Dans une Europe confrontée aux tensions entre supra-nationalisme et inter-gouvernementalisme, à l’évolution des partis populistes de droite radicale et l’extension du pessimisme sur la mondialisation, l’équilibre est de plus en plus précaire.

Mais ces gains politiques ne sont que des bagatelles symboliques. Il reste regrettable que ce compromis ait pris le pas sur la protection des droits fondamentaux des personnes réfugiées et migrantes. Des principes pourtant adoptés par les États membres de l’ONU dans le Pacte mondial sur les migrations en 2018.

Et maintenant ?

Le pacte a été voté et accepté par le Parlement européen le 20 avril 2023, ouvrant la voie au «trilogue» avec la Commission et le Conseil européen. Une fois ce processus finalisé, les mesures législatives issues du pacte devront être transposées dans les législations nationales des vingt-sept.

Avec ce nouveau pacte, l’UE fait un pas de plus vers l’externalisation de sa politique migratoire. Une stratégie de mise à distance des personnes exilées que l’on retrouve aussi outre-Atlantique, avec l’annonce récente du gouvernement américain de Joe Biden de créer des « centres de traitement régionaux » en Amérique du Sud afin de filtrer et trier en amont les personnes désireuses de rejoindre les USA.

En déléguant cette gestion aux pays du Sud global, les États du Nord cherchent à se soustraire de leur responsabilité morale et légale de protéger les droits humains des personnes cherchant l’asile.

Le 16 juillet 2023, c’est à Tunis que Ursula von der Leyen accompagnée des chef·fes de gouvernements italien et néerlandais ont signé un « partenariat stratégique » avec le président tunisien. L’un des principaux axes de ce texte concerne l’immigration illégale et prévoit de renforcer les contrôles aux frontières et les retours de candidats à l’exil en Tunisie, s’inscrivant dans la politique d’externalisation des frontières de l’UE prévue par le NPMA. Malgré les violences des autorités tunisiennes à l’encontre des personnes migrantes, ce texte ne prend aucunement en considération les questions de Droit Humains ou le traitements des personnes migrantes en Tunisie. L’emphase de l’accord s’établit autour du renforcement des frontières et la formation des gardes côtes avec un budget de 105 millions destiné uniquement à la « gestion de la migration ».

GLOSSAIRE

LE CONSEIL DE L’UNION EUROPÉENNE

Il représente les intérêts des gouvernements des États membres de l’Union européenne. Il est responsable de l’adoption de la législation européenne et de la coordination des politiques des États membres. Chaque État membre dispose d’une voix au Conseil.

LA COMMISSION EUROPÉENNE

Elle est l’organe exécutif de l’Union européenne. Elle propose des législations, met en œuvre les politiques européennes et veille à leur respect. La Commission est composée de commissaires désigné·es par chaque État membre et est présidée par un ou une président·e élu par le Parlement européen.

LE PARLEMENT EUROPÉEN

Il est l’organe législatif de l’Union européenne et représente la voix des citoyens de l’UE. Les député·es européen·nes sont élu·es directement par les citoyen·nes des États membres pour un mandat de cinq ans. Le Parlement européen a le pouvoir d’adopter, de modifier ou de rejeter les propositions de la Commission européenne et du Conseil de l’Union européenne.

Pour le NPMA, le processus suivi au sein des institutions est le suivant :

La Commission européenne soumet le Pacte

Le Parlement européen l’examine, propose des amendements et vote

Le Conseil de l’UE adopte la proposition à la majorité qualifiée

Mise en œuvre par les États membres

Quid de la Suisse?

L’art.113 de la Loi sur l’asile stipule que la «Confédération participe à l’harmonisation de la politique européenne à l’égard des réfugié·es ». Membre associée de Schengen / Dublin, la Suisse siège avec une voix consultative à la table des négociations des ministres européen·es de l’Intérieur. Elle est donc directement concernée par le pacte de l’UE et le développement du régime d’asile européen commun (RAEC), rappelle l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR) dans un nouvel avis très critique à l’égard du pacte[1]OSAR, La procédure d’asile aux frontières extérieures de l’UE : l’Europe renonce à la notion de protection, Opinion, 23.05.2023. C’est dans ce contexte que la conseillère fédérale Elisabeth Beaume-Schneider s’est rendue à Bruxelles en mars pour y signer une déclaration commune visant à garantir une application uniforme des règles de Dublin. Et c’est à la même période qu’elle a, de concert avec la Secrétaire d’État aux migrations Christiane Schraner-Burgener, soutenu les mesures prévues par l’UE[2]Le Temps, La Suisse signe une déclaration sur la migration à Bruxelles, 09.03.2023. « Au vu de la situation, c’est à la fois préoccupant et déconcertant en ce qui concerne les droits humains et les droits des personnes réfugiées», s’insurge l’OSAR. «D’autant plus que le Conseil fédéral se montre en même temps très clair vis-à-vis de l’exigence de politique intérieure des procédures d’asile dans des zones de transit à la frontière suisse.»

Fait étonnant, la ministre de la Justice et de la Police avait aussi manifesté son opposition à une externalisation des procédures d’asile telle que le prévoit le Royaume-Uni au Rwanda. Il est légitime de se demander si la Suisse adoptera une approche sélective vis-à-vis du pacte, pratique qu’elle a maniée dans ses relations bilatérales avec Bruxelles aujourd’hui mises à mal.


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Notes
Notes
1 OSAR, La procédure d’asile aux frontières extérieures de l’UE : l’Europe renonce à la notion de protection, Opinion, 23.05.2023
2 Le Temps, La Suisse signe une déclaration sur la migration à Bruxelles, 09.03.2023