Violences domestiques | Une véritable protection, indépendamment du statut
CHLOÉ MAIRE & EVA KISS, travailleuses sociales à la Fraternité du CSP Vaud et au CCSI
Membres du Groupe de travail Femmes Migrantes & Violences conjugales
Les personnes étrangères victimes de violences domestiques sont enfin mieux protégées. Un aboutissement obtenu de longue lutte. 20 ans exactement après l’introduction de l’article 50 de la Loi sur les étrangers et l’intégration (LEI), la Suisse a enfin adopté une modification de cette disposition[1]Modification de la LEI et de l’OASA(21.504 ; Réglementation des cas de rigueur en cas de violence domestique, offrant une protection efficace aux personnes étrangères victimes de violence domestique, sans distinction selon leur statut.

Entré en vigueur le 1er janvier, l’article 50 LEI modifié, accepté par l’assemblée fédérale le 14 juin 2024, assure la protection de toutes les victimes indépendamment de la nationalité et du permis de séjour de leur conjoint·e (permis C, B, L ou F). Les titulaires d’une admission provisoire (permis F) sont désormais protégé·es au même titre qu’une personne venue rejoindre un·e ressortissant·e suisse. Les concubin·es ayant bénéficié d’un statut par regroupement familial sont également protégé·es, comme l’est un enfant venu par cette voie, car le nouveau texte mentionne la «violence domestique» et non plus la «violence conjugale». Chaque membre de la famille vivant sous le même toit que son agresseur·euse peut ainsi quitter le domicile sans craindre de perdre son permis. La nouvelle formulation élargit aussi le droit d’utiliser les voies de recours jusque devant le Tribunal fédéral, mettant un terme à l’inégalité de traitement entre les victimes migrantes.
De plus, les indices et éléments certifiant les violences subies sont désormais précisés dans la loi. Cette liste, non exhaustive, permet que celles-ci soient prises en compte sans que les autorités et les tribunaux ne cherchent à en apprécier leur «intensité» et leur répétition comme la jurisprudence l’a décrété ces dernières années. À cet égard, le Parlement a précisé la nécessité de modifier la loi et d’abandonner ces notions «d’intensité et de répétition des violences».
Le Conseil fédéral a d’ores et déjà modifié l’ordonnance d’application de la LEI concernée afin de préciser qu’il y a désormais lieu de tenir compte de la situation spécifique des victimes de violence domestique et de mariage forcé dans leur capacité d’intégration mise à mal par les violences subies[2]Art. 77f Prise en compte des circonstances personnelles, lettre c chiffre 4..
Cette modification légale a également permis à la Confédération de renoncer à la réserve émise à l’article 59 de la Convention d’Istanbul dès le 1er janvier 2025, alignant ainsi pleinement la Suisse avec les standards européens dans la lutte contre les violences faites aux femmes.
POINTS DE VIGILANCE
Les violences plus difficiles à démontrer, telles que les violences psychologiques et économiques, resteront un point de vigilance ces prochaines années. Celles-ci ayant des conséquences dramatiques, il est impératif qu’elles soient mieux reconnues par les autorités migratoires, ainsi que par les tribunaux[3]Raison pour laquelle le nouvel article 50 LEI précise que les rapports médicaux ou d’autres expertises (ce qui inclut notamment les rapports établis par des psychologues et thérapeutes) … Lire la suite. Contrairement à l’imaginaire de personnes non-formées sur les réalités et fonctionnements complexes des violences domestiques et des différentes formes qu’elles peuvent prendre, il n’est pas rare que des tentatives et/ou des féminicides/homicides ne soient pas précédées de violence physique.
Autre point de vigilance: l’abandon effectif des notions «d’intensité et de répétitions des violences» par les autorités migratoires dans leurs appréciations.
RÉSULTAT D’UNE LONGUE MOBILISATION
Ce résultat a été possible grâce au travail de dénonciation de l’application trop restrictive de l’article 50 LEI. Une mobilisation qui a démarré dès 2009, avec notamment le Groupe de travail romand «Femmes Migrantes & Violences conjugales»[4]Le Centre de Contact Suisses-Immigrés (CCSI), le Centre Suisses-Immigrés Valais (CSI Valais), Le service social pour les immigré·e·s – La Fraternité du CSP Vaud, Camarada et le Syndicat … Lire la suite composé d’individus et de diverses organisations actives sur le terrain dans la défense de migrantes. Le Groupe de travail est ainsi intervenu auprès de plusieurs comités de l’Organisation des Nations unies (ONU), et plus récemment du Groupe d’experts sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (GREVIO) chargé de la bonne application de la Convention d’Istanbul. Le rapport rédigé à l’intention du GREVIO en partenariat avec la société civile en juin 2021[5]Rapport alternatif du Réseau Convention d’Istanbul, juin 2021, pages 246-259 a permis de créer une collaboration étroite avec différentes conseillères nationales dont découle l’initiative parlementaire[6]Initiative parlementaire 21.504 «Garantir la pratique pour raisons personnelles majeures visée à l’article 50 LEI en cas de violence domestique », 5 novembre 2021. à l’origine de la modification de l’article 50 LEI.
Nous pouvons nous réjouir des améliorations des droits des victimes migrantes apportées par ce changement de loi. En permettant aux personnes migrantes d’être en mesure de quitter sans crainte des relations violentes le plus rapidement possible, elles peuvent contribuer à réduire le nombre important de féminicides/homicides, ainsi que les coûts, tant humains que financiers, engendrés par de la violence domestique.
Lire aussi: Violences domestiques: les bons à savoir juridiques de F-information (2018-2024)
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Notes
↑1 | Modification de la LEI et de l’OASA(21.504 ; Réglementation des cas de rigueur en cas de violence domestique |
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↑2 | Art. 77f Prise en compte des circonstances personnelles, lettre c chiffre 4. |
↑3 | Raison pour laquelle le nouvel article 50 LEI précise que les rapports médicaux ou d’autres expertises (ce qui inclut notamment les rapports établis par des psychologues et thérapeutes) doivent être pris en compte comme indices des violences subies. |
↑4 | Le Centre de Contact Suisses-Immigrés (CCSI), le Centre Suisses-Immigrés Valais (CSI Valais), Le service social pour les immigré·e·s – La Fraternité du CSP Vaud, Camarada et le Syndicat Interprofessionnel des travailleuses et travailleurs (SIT). |
↑5 | Rapport alternatif du Réseau Convention d’Istanbul, juin 2021, pages 246-259 |
↑6 | Initiative parlementaire 21.504 «Garantir la pratique pour raisons personnelles majeures visée à l’article 50 LEI en cas de violence domestique », 5 novembre 2021. |