Témoignage | Le travail m’a permis de surmonter les duretés vécues pendant la fuite
Awet Embaye
Quand je suis arrivé au Centre fédéral de Vallorbe en décembre 2016, j’ai été choqué, c’était comme une prison, il y avait des horaires très stricts. J’avais peur : au début, des personnes en uniforme fouillaient mes affaires. Après quelques jours, ça allait mieux. J’y suis resté 3 mois: ça me cassait la tête cette attente. J’ai fait 3 interviews parce qu’il y avait un problème avec ma date de naissance. En Italie, ils avaient accepté mon âge, 17 ans. Mais en Suisse, comme je n’avais pas de papiers, ils ont dit que j’avais 18, puis 19 ans.
Ensuite, j’ai été transféré à Genève. Dans un abri de protection civile avec des adultes. J’ai été tellement choqué de voir que c’était en sous-sol que je n’ai pas dormi ni mangé pendant 2 jours. L’assistant social m’a dit que je devais aller voir un avocat si je voulais prouver que j’étais mineur, que ce n’était pas lui qui décidait, mais Berne.

Des demandeurs d’asile qui étaient avec moi m’ont emmené à des cours de français gratuits. Là, une dame, Marie, m’a dit : «Tu es trop jeune, tu ne dois pas être dans le bunker». Elle m’a encouragé et m’a toujours accompagné par la suite. Elle dit parfois que c’est grâce à moi que maintenant elle connaît beaucoup de choses sur l’asile.
Je suis allé voir un juriste au Centre social protestant et il m’a aidé. Heureusement, j’ai pu demander à ma mère de m’envoyer un certificat de baptême pour prouver mon âge. C’était très compliqué. Mais grâce à ce papier, tout a changé : j’ai pu aller vivre dans un centre pour mineurs et commencer l’école à la rentrée.
Après, j’ai été convoqué à Berne pour l’interview d’asile. J’y suis allé avec Marie, qui est comme ma mère. Je ne sais pas comment on arrivait à communiquer, on «parlait» avec les mains, des dessins, un peu d’anglais. J’étais très timide aussi.
Au SEM, j’ai dû raconter mon histoire pendant 6 heures. Le représentant de l’œuvre d’entraide (ROE) a dit qu’il y avait un problème avec l’âge que la Suisse avait enregistré, que j’étais mineur et que je devrais être avec un avocat. Moi, j’ai été régulier, j’ai toujours dit la même chose, la vérité.
J’ai reçu très vite une réponse positive et j’ai eu un permis B réfugié. Finalement, j’ai eu de la chance. Après une année de stress, j’ai commencé le bon chemin de ma vie. Mais je suis resté seulement 2 ans et demi en classe d’accueil à cause du COVID. Après, l’école a décidé de m’inscrire en stage une année scolaire dans une entreprise sociale. Je n’étais pas d’accord, parce que j’avais encore besoin de cours de français. L’école avait aussi pris un rendez-vous à l’hôpital pour moi, pour faire une évaluation psychologique. J’ai demandé pourquoi j’étais là, j’ai respecté le rendez-vous, mais personne n’avait d’explication, même pas le médecin.

J’ai quand même tenu bon, fait deux stages-métier dans l’entreprise sociale. À côté j’ai fait le test d’évaluation pour les apprentissages et des stages. Un des patrons, un menuisier, m’a fait un très bon rapport de stage. Comme il a vu que ce métier m’intéressait, il a parlé au centre professionnel. Il ne pouvait pas me prendre comme apprenti, mais il m’a montré le chemin. Grâce à lui, j’ai fait une AFP d’aide-menuisier en école.
Je pensais faire un CFC après, mais je ne trouvais pas de patron. Alors, en même temps, j’ai cherché du travail. Après quelques mois, j’ai été engagé dans une entreprise pour un mois. Comme ils ont été contents, ils m’ont gardé. J’aime beaucoup mon travail, mais il est dur. Et le salaire est bas. Quand j’ai tout payé, il ne me reste presque rien. Je ne m’y attendais pas, je ne connaissais pas le système, mais je suis heureux d’être sorti de l’aide sociale. Aujourd’hui, je suis toujours motivé. La vie continue, chaque jour j’apprends. Je sais que mon patron est satisfait et je le respecte beaucoup. C’est un grand chemin depuis mon départ d’Érythrée.
En Libye, après 4 mois dans un hangar, j’étais au bord de la mer avec 200 personnes pour attendre un bateau. La police libyenne nous a attrapés, battus, mis dans une prison, avec un repas par jour. J’ai été malade, j’ai été témoin de beaucoup de souffrances et d’horreurs. Je ne savais pas que des choses comme ça pouvaient arriver dans la vie. Après 3 mois, ils ont dit que si on ne pouvait pas payer, on allait mourir là. J’ai dû appeler ma famille pour l’argent. Comme du matériel, comme des animaux, ils nous ont mis dans un petit bateau avec 400 personnes. Six heures après, un grand bateau est venu. Ça a mis une journée pour nous transférer du petit au grand bateau. Alors ici, c’est petit à petit, on n’a pas le choix.
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