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OSAR | Enfants en quête de protection : la Suisse a des devoirs

Dans la quête de protection en Suisse, des milliers d’enfants non accompagnés menacé·es dans leur pays traversent les routes périlleuses de l’exil. Ces mineur·es, protégé·es par la Convention relative aux droits de l’enfant, méritent une attention particulière au vu des complexités rencontrées dans leur procédure d’asile. La question de leur âge et de leur vulnérabilité est cruciale pour leur avenir incertain et reste trop souvent remise en question par les autorités. La Suisse doit faire des choix décisifs pour garantir des droits respectueux de l’enfant, des solutions d’hébergement adaptées et un accompagnement adéquat, afin de créer un avenir empli d’espoir pour ces jeunes en quête de sécurité.

Merci à l’OSAR de nous avoir permis de reprendre cet article écrit par Lucia della Torre, disponible sur leur site

Photo de Rostyslav Savchyn sur Unsplash

Enfants en quête de protection : la Suisse a des devoirs

Hussein a 16 ans et a entrepris un très long voyage, voilà plusieurs mois qu’il a dû soudainement quitter son pays. Avant d’arriver en Suisse, il a traversé de nombreux pays de différentes manières, en plusieurs étapes, certains nécessaires, d’autres imposées. Il se trouve désormais dans un centre fédéral pour requérants d’asile et y a déposé une demande d’asile. Que lui réserve l’avenir ?

Lucia della Torre, juriste

En 2022 le nombre de personnes requérantes d’asile mineures non accompagnées (RMNA) a augmenté de manière significative en Suisse atteignant 2450 alors qu’il s’élevait à 989 en 2021 et à 535 en 2020. Les raisons de cette augmentation sont les troubles internationaux, l’ouverture et la fermeture de différentes routes migratoires ainsi que l’évolution des régimes des visas dans de nombreux pays de transit. Une statistique de plus pourrait-on penser.

Ce sont des enfants avant tout

C’est en fait le nombre d’enfants, seul-e-s et à la recherche d’une protection en Suisse, qui a augmenté de manière significative. Notre perception change immédiatement. Parler d’enfants n’est même pas un simple artifice rhétorique pour jouer sur les émotions : c’est la Convention relative aux droits de l’enfant (CDE), en vigueur en Suisse depuis 1997, qui stipule que toute personne âgée de moins de 18 ans doit être considérée, avant tout, comme un enfant. En outre, si un-e enfant est séparé-e de ses deux parents et n’est pas pris-e en charge par un adulte avec la même responsabilité que celle d’un parent, il ou elle est considéré-e comme non accompagnée, seul-e.

La CDE stipule que les enfants sont, toujours et en toutes circonstances, des sujets individuels de droits et non les objets de la bonne volonté des adultes. Les enfants ont notamment le droit d’aller à l’école et de recevoir une éducation. Ils ont également le droit au repos et aux loisirs, de se livrer au jeu et à des activités récréatives propres à son âge. Ces droits s’appliquent à tous les enfants, y compris à ceux en quête de protection. Ces derniers peuvent se trouver dans une situation plus vulnérable qu’une majorité d’enfants suisses.

De plus, les enfants qui voyagent sans leurs parents ont le droit d’avoir une personne qui les accompagne, les soutienne et les représente, jusqu’à leur majorité. Ils bénéficient également d’un droit à être entendu, et leur opinion doit être prise au sérieux par les adultes interagissant avec eux. Leur intérêt supérieur et leur bien-être doivent être la considération principale qui guide toute décision les concernant.

L’âge est crucial

Revenons au parcours d’Hussein : il est arrivé en Suisse, dans un CFA. Qu’est-ce qui déterminera les prochaines étapes de sa procédure d’asile et son avenir ?

Son âge jouera un rôle important. Sa procédure d’asile dépendra de la décision du Secrétariat d’État aux migrations (SEM), qui est chargé de statuer sur sa demande de protection, quant à son âge et à la question de savoir si Hussein est considéré comme un enfant, comme il l’affirme. Dans les CFA, seul-e-s, les enfants peuvent avoir accès à des mesures de soutien supplémentaires, telles que la présence de pédagogues, l’accès à l’école, la possibilité d’avoir des activités de loisirs, etc.

Si le SEM a des doutes sur l’âge réel de la personne, celle-ci doit se soumettre à des procédures d’évaluation de l’âge. Ces procédures (scanners, radiographies, examens physiques) impliquent une violation de la sphère intime et privée de la personne concernée. Leur fiabilité est également discutée. En 2020 et 2021, nombre d’évaluations de l’âge a été incroyablement élevé. Selon les statistiques du SEM, plus de la moitié des personnes qui ont demandé une protection en affirmant être mineures ont dû le prouver en se soumettant à de telles évaluations.Ainsi, selon les statistiques, plus d’une fois sur deux, les autorités ne croient pas une personne affirmant être un enfant.Selon ces mêmes statistiques, notamment publiées dans le rapport AIDA,la plupart des personnes évaluées sont effectivement avérées être des enfants selon les statistiques.

Notons aussi que procéder à des évaluations médicales aussi fréquentes a un coût, en temps et en argent. Cela va surtout à l’encontre des principes internationaux, selon lesquels les examens médico-légaux devraient être une mesure exceptionnelle de dernier recours et, en cas de doute, le principe in dubio pro minore devrait prévaloir.

Un accompagnement adéquat pour tous les enfants

Durant les derniers mois 2022, en raison principalement de la forte augmentation des arrivées en Suisse, les CFA avec fonction procédurale ont été mis à rude épreuve. Dans ce contexte, les enfants dès 16 ans considéré-e-s comme plus autonomes ont été transféré-e-s dans d’autres centres pour une période plus ou moins longue, avant le début de leur procédure d’asile. Durant cette période, il a été difficile de veiller à ce que les enfants concerné-e-s puissent être suivi-e-s quotidiennement par des personnes formées pour les accompagner et à les occuper de manière adaptée à leur âge et à favoriser leur développement et intégration.

La Suisse utilisait jusqu’à récemment la catégorie SUMA pour désigner les enfants dès 16 ans considéré-e-s plus autonomes. Cette catégorie n’existait toutefois pas dans le droit international. Il est donc réjouissant que cette utilisation ait cessé. Nous espérons qu’elle ne sera pas à nouveau utilisée à l’avenir, car elle entraîne un affaiblissement des droits dont jouissent les enfants en cours de procédure d’asile. De plus, les évaluations par lesquelles les enfants sont considéré-e-s comme plus ou moins autonomes ne sont absolument pas transparentes. Les représentants légaux des enfants ne peuvent ni évaluer, ni analyser ces évaluations. Cette catégorie doit donc être abandonnée sans plus tarder.

Dans le cas d’Hussein, son âge et sa vulnérabilité n’ont pas été remis en question, et il est resté hébergé dans un CFA avec fonction procédurale Comme susmentionné, ces centres ont connu une surcharge importante et les ressources ainsi que le personnel ont manqué. Cette situation a entraîné des conséquences sur les enfants requérant-e-s d’asile.

Le rapport de la Commission nationale de prévention de la torture (CNPT) (rapport complet en allemand) récemment publié, indique que faute de moyens, dans certains cas, un-e seul-e éducateur-rice devait s’occuper de plus de 70 enfants. Un tel ratio élevé entre le nombre d’éducateurs et d’éducatrices et le nombre d’enfants qui leur sont confié-e-s ne permet absolument pas de garantir que les enfants puissent bénéficier pleinement du respect de leurs droits en vertu de la CDE. 

La Suisse doit faire des choix

Les décisions de la Suisse sur l’avenir de son système d’asile, en particulier sur la situation des enfants non accompagné-e-s, influenceront en grande partie l’avenir d’Hussein. Le temps passé dans les CFA ne doit pas devenir un temps perdu, un temps fragile, ajoutant même de nouvelles vulnérabilités, de nouveaux traumatismes à des enfants, déjà largement marquées par leur passé. Des procédures d’asile respectueuses des droits de l’enfant, permettant sa participation aux décisions le concernant, de son droit à être entendu et plaçant son intérêt supérieur avant toute autre considération doivent s’appliquer. Investir plus de moyens pour avoir du personnel formé à la prise en charge des enfants en quête de protection est plus que nécessaire. Le but est de pouvoir également créer des réseaux, des procédures et des échanges qui puissent perdurer dans le temps. Réagir de manière improvisée en cas d’urgence n’est pas adéquat. Il est essentiel de proposer des solutions d’hébergement qui favorisent l’intégration précoce des enfants dans la société. Le modèle d’hébergement privé en famille d’accueil que l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés souhaite établir durablement en Suisse va précisément dans ce sens. Les projets visant à améliorer et à élargir l’offre éducative pour les enfants qui se trouvent encore dans les CFA sont aussi une contribution importante.

C’est avec de telles solutions que l’avenir d’Hussein, et celui d’autres enfants, pourra véritablement être ouvert, confiant et fait d’espoirs.


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