Quelle protection reçoivent-ils et elles en Suisse?
2.2. Admission provisoire
En Suisse, l’admission provisoire est prononcée suite à un rejet de l’asile et une décision de renvoi, lorsque des motifs juridiques s’opposent à l’exécution de ce renvoi.
Trois types d’obstacles au renvoi sont réglementés dans la Loi sur les étrangers (LEtr):
- L’impossibilité du renvoi (art.83 al.2) est avant tout liée à des questions techniques, et représente une portion congrue de ces admissions provisoires.
- L’illicéité du renvoi (art. 83 al.3) concerne des personnes dont la qualité de réfugié est reconnue mais dont l’asile est refusé pour «motifs postérieurs à la fuite». Cela concerne en particulier les Erythréens et les Tibétains: «Le simple fait de quitter la République populaire de Chine pour les Tibétains ou l’Erythrée pour les ressortissants érythréens entraîne une mise en danger des personnes concernées qui justifie la reconnaissance du statut de réfugié», explique le Conseil fédéral dans un rapport. Ces personnes reçoivent alors une admission provisoire pour réfugiés (admission provisoire – réfugiés).
- Tout se complique avec l’inexigibilité du renvoi (art. 83 al.4), définie par la Suisse comme un obstacle «humanitaire» à l’exécution du renvoi. Soit parce qu’il «met l’étranger concrètement en danger, par exemple en cas de guerre, de guerre civile, de violence généralisée». Soit en raison de la vulnérabilité des personnes (âge, maladie, absence de réseau familial, etc.).
(source: « Admissions provisoires: majoritairement pour raison médicale?, Vivre Ensemble, n°153, juin 2015, pp.24-25)
La définition détaillée de l’admission provisoire et les différents cas de figure, les statistiques y afférentes, sont détaillées avec précision dans un rapport du Conseil fédéral en réponse au postulat du groupe libéral-radical du 24 septembre 2013, Asile. Statistique des autorisations de séjour pour cas de rigueur, 30 juin 2014.
Une section de notre page « statistiques » est dédiée à l’admission provisoire. Vous pouvez la consulter en cliquant ici.
2.2.1. Cadre juridique
Principe:
Juridiquement, une admission provisoire est une mesure de substitution prononcée par le Secrétariat d’Etat aux migrations lorsque l’exécution du renvoi est impossible, illicite ou qu’elle ne peut pas être raisonnablement exigée (art. 44, al. 2, LAsi en relation avec l’art. 83, al. 1, LEtr, v. Directive du 1.1.2008, état au 15.10.2015, p.6).
Le demandeur d’asile aura donc reçu une décision de rejet de sa demande, assortie d’une décision de renvoi, et c’est au moment de prononcer l’exécution du renvoi qu’intervient l’admission provisoire. L’admission provisoire déploie ses effets dès le prononcé de la décision de première instance (cf. Annexe 3 de la directive III / 6.3).
2.2.2. Durée et autres problématiques liées à l’admission provisoire
L’admission provisoire est un permis de séjour d’une durée d’un an renouvelable.
« Le SEM peut ordonner l’admission provisoire pour une durée maximale de douze mois. (…) Aussitôt que l’exécution du renvoi semble à nouveau possible, les autorités cantonales compétentes sont chargées d’en informer le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM). En l’absence d’indices en ce sens, l’admission provisoire est généralement prolongée de douze mois ». (Directive du 1.1.2008, état le 15.10.2015)
Dans les faits, les admissions provisoires se prolongent dans le temps, comme le montrent les statistiques présentées ici.
L’admission provisoire et son incompatibilité avec les droits fondamentaux
Le 18 février 2014, le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale s’est prononcé sur le cas de A. M. M., ressortissant somalien. Dans ses conclusions, il se prononce sur le « régime de l’admission provisoire » en Suisse, en déclarant que:
« La situation des admis provisoires est problématique et recommande à la Suisse de ‘revoir sa réglementation relative au régime de l’admission provisoire, afin de limiter autant que possible les restrictions à la jouissance et à l’exercice des droits fondamentaux, plus particulièrement les droits relatifs à la liberté de circulation, surtout lorsque ce régime se prolonge dans le temps' » (Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, Communication n°50/2012).
Dans sa communication (voir ci-dessus), le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale a d’ailleurs demandé à la Suisse d’éliminer les obstacles qui empêchent les personnes admises à titre provisoire de jouir de la totalité de leurs droits. Il rappelle qu’un traitement différentiel basé sur le statut juridique de la personne constitue une discrimination si cette différenciation ne poursuit pas un but légitime et n’est pas proportionnelle à l’obtention de ce but. Le Comité invite la Suisse à supprimer les restrictions en matière de liberté de mouvement, à assouplir les conditions pour le regroupement familial et à faciliter l’accès au logement, à l’emploi, à des opportunités éducatives et aux soins médicaux pour les personnes avec un permis F (pour lire le rapport complet, cliquez ici).
Les obstacles sur le marché du travail
Outre le problème d’une liberté de circulation limitée, les personnes admises provisoirement connaissent plus de difficultés que les personnes ayant un statut de réfugié à trouver un travail. La difficulté d’insertion dans le marché du travail pour les personnes admises provisoirement est l’un des obstacles majeurs à leur intégration dans la société suisse, comme ces témoignages publiés dans Vivre Ensemble le démontrent.
- Alexa Mekonen, « L’admission provisoire vue par des membres de l’Association d’aide à l’intégration somalienne« , Vivre Ensemble, n°140, décembre 2012
Mohammed A.: Avec le permis B, tu peux trouver un travail plus facilement, mieux apprendre la langue, travailler et c’est la base pour s’intégrer. Aujourd’hui, je me sens inutile. Je ne contribue pas à la société et c’est dégradant comme sentiment. J’ai l’impression que mon permis est plus important que ma personne (extrait de l’article de Alexa Mekonen).
- Leyla, « S’intégrer? Un parcours du combattant!« , Vivre Ensemble, n°138, juin 2012:
« Désireux de travailler le plus vite possible, mon mari envoya son CV dans différents établissements hospitaliers. Tous lui retournèrent la même réponse: ‘Nous ne pouvons pas vous engager à cause de votre permis' » (extrait du témoignage de Leyla).
Pour essayer de pallier à ce problème, le Secrétariat d’Etat aux migrations et le Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO) ont publié, en octobre 2012, une brochure d’information « concernant l’accès des personnes admises à titre provisoire (permis F) au marché du travail et leur intégration en Suisse ».
Cette brochure clarifie les droits accordés aux admis provisoires depuis 2007 en matière d’accès au marché du travail, de formation et d’intégration. Un domaine considéré par les deux institutions comme lacunaire. La brochure indique également les procédures à suivre lors de l’engagement d’un admis provisoire et renseigne sur les autorités cantonales compétentes en matière de migration et d’intégration.
Pour toutes ces raisons, certaines voix s’élèvent demandant un nouveau statut de protection, substituant celui d’admission provisoire. Ceci a notamment été le cas d’une étude mandatée par la Commission fédérale pour les migrations (CFM) et dirigée par le Prof. Roger Zetter, expert en matière de migration et ancien directeur du Refugee Studies Centre à l’Université d’Oxford. Le Prof. Zetter conclut que:
« Les motivations, les formes, les directions et l’ampleur des migrations forcées ont fortement changé au cours des dernières années. De plus en plus souvent, les migrants économiques, les réfugiés (personnes persécutées personnellement) et les personnes déplacées en raison de violences ou de guerres cheminent ensemble et sont exposés aux mêmes risques. Une protection axée uniquement sur les «vrais» réfugiés – persécutés personnellement – ne correspond plus à la réalité actuelle. En définitive, tous les migrants forcés ont besoin de protection. En 2014, la Commission fédérale pour les questions de migration (CFM) s’est concentrée sur la protection des migrants forcés et elle est arrivée à la conclusion que la Suisse doit elle aussi adapter son concept de protection, en collaboration avec d’autres pays. Dans ses recommandations relatives à l’octroi de protection, elle propose notamment d’introduire un nouveau statut de protection complémentaire, qui aurait vocation à remplacer l’admission provisoire. Ce statut serait destiné aux personnes qui ne satisfont certes pas aux conditions nécessaires pour être reconnues comme réfugiés au sens de la Convention de Genève, mais qui seraient gravement menacées en cas de renvoi dans leur pays d’origine. Ce statut de protection pourrait être levé à la disparition du danger. Si la menace devait perdurer six ans plus tard, la personne devrait obtenir une autorisation de séjour conventionnelle. La CFM est convaincue qu’un tel statut de protection serait mieux adapté aux besoins des personnes à protéger que l’admission provisoire actuellement en vigueur. »
(source: « Protection des migrants forcés. Etat des lieux des concepts, défis et nouvelles pistes« )
La suppression de ce statut est également une des conclusions que l’on peut lire dans une étude réalisée sur mandat du Secrétariat d’Etat aux migrations, qui étudie pour la première fois l’insertion sur le marché du travail des personnes admises provisoirement, des réfugiés, et des cas de rigueur en croisant les données de l’AVS et du SEM, et interroge les employeurs sur les obstacles que pose le permis F à l’embauche (« Participation des réfugiés et des personnes admises à titre provisoire sur le marché suisse du travail« , KEK-CDC consultants, BSS, mandant ODM, avril 2014. ).
Voir à ce propos notre édition de septembre 2014 sur l’intégration : Veut-on vraiment les intégrer?
Cas de personnes admises provisoirement sur le territoire suisse recensés par l’ODAE romand:
- Cas 211 / 3.07.2013: « Après 20 ans en Suisse, ‘Houria’ se voit réattribuer un statut précaire« .
- Cas 163 / 25.11.2011: « On allait le renvoyer sans s’assurer qu’il aurait accès à un traitement vital« .
- Cas 110 / 3.05.2010: « 11 ans de lutte avec les autorités pour faire reconnaître ses souffrances« .
- Cas 008 / 5.06.2007: « Renvoyé vers un pays voisin pour y vivre dans la clandestinité« .
L’ODAE romand a également publié en octobre 2015, un rapport intitulé « Permis F : admission provisoire ou exclusion durable ? ». Ce rapport examine la situation des personnes admises à titre provisoire en Suisse romande.
Pour aller plus loin…
- Article d’Aldo Brina, « Permis F, un asile au rabais« , Vivre Ensemble, VE 138, juin 2012, (édition thématique sur l’admission provisoire).
- Editorial de Sophie Malka, Veut-on vraiment les intégrer? Vivre Ensemble, VE 149/septembre 2014 (édition thématique sur l’intégration).
- Article « ‘Admission provisoire‘: entre admission et exclusion, entre provisoire et indéfini. État des lieux et examen de quelques aspects critiques dans une perspective des droits humains« , publié sur le site du Centre suisse de compétence pour les droits humains (CSDH), le 29 janvier 2015.
- Article de Stefania Summermatter, « L’admission provisoire, un «non statut» qui divise le monde politique« , paru sur Swissinfo.ch, le 29 juin 2015.
- Article d’Anne Kneer, « De toute façon, ils peuvent rester» – Les différences entre l’admission provisoire et l’asile », disponible sur le site de l’OSAR, publié le 29 octobre 2015.
2.2.3. A titre de comparaison, la protection subsidiaire européenne
Dans l’Union européenne, lorsque le statut de réfugié leur est refusé faute de persécution personnelle, les personnes déplacées par la guerre et les violences obtiennent une protection subsidiaire, et souvent quasiment les mêmes droits que les réfugiés. En Suisse, elles reçoivent une décision de renvoi. Et si l’exécution du renvoi dans le pays d’origine s’avère illicite ou inexigible parce qu’elle mettrait la vie des personnes en danger, une admission provisoire – statut précaire avec des droits limités – est octroyée.
La « protection subsidiaire » est un statut octroyé par le droit européen aux personnes ne pouvant être considérées comme réfugiées au sens strict de la Convention de Genève, mais qui courent un risque d’atteintes graves en cas de renvoi dans leur pays d’origine.
Cadre législatif:
Directive 2004/83/CE du Conseil européen du 29 avril 2004 concernant les normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié ou les personnes qui, pour d’autres raisons, ont besoin d’une protection internationale, et relatives au contenu de ces statuts:
Conditions spécifiques d’octroi de la protection subsidiaire selon la « Directive 2004/83/CE »:
Suivant la directive, les États membres accordent le statut conféré par la protection subsidiaire à un demandeur de protection internationale qui se trouve hors de son pays d’origine et ne peut pas y retourner parce qu’il craint avec raison d’y faire l’objet de l’une des atteintes graves et injustifiées suivantes:
- la torture ou des traitements inhumains ou dégradants;
- la peine de mort ou l’exécution;
- une menace contre sa vie, en raison d’une violence non ciblée liée à un conflit armé interne ou international.
La protection subsidiaire pourra prendre fin si les conditions dans le pays d’origine cessent d’exister ou sont évolué dans une mesure telle que cette protection n’est plus nécessaire.
Droits octroyés par le statut de réfugié et par celui conféré par la protection subsidiaire:
Les pays de l’UE s’engagent à garantir une attention particulière à certaines catégories de sujets (mineurs, mineurs non accompagnés, personnes handicapées, personnes âgées, femmes enceintes, les parents seuls accompagnés d’enfants mineurs et les personnes qui ont subi des tortures, des viols ou d’autres formes graves de violence psychologique, physique ou sexuelle).
Selon les conditions définies par les pays de l’UE, les membres de la famille d’un bénéficiaire du statut de réfugié ou de protection subsidiaire profitent des mêmes avantages que le bénéficiaire.
Par la présente directive, les pays de l’UE devront garantir aux bénéficiaires du statut de réfugié ou d’une protection subsidiaire toute une série de droits, notamment:
- le droit de non-refoulement;
- le droit d’information dans une langue que les bénéficiaires du statut comprennent;
- le droit à un titre de séjour d’au moins trois ans et renouvelable pour les réfugiés et d’au moins un an et renouvelable pour les bénéficiaires d’une protection subsidiaire;
- le droit de circuler à l’intérieur du pays qui a reconnu le statut et le droit de voyager hors du pays;
- le droit de pouvoir exercer une activité salariée ou non salariée ainsi que la possibilité de suivre des cours de formation professionnelle;
- l’accès au système éducatif pour les enfants et aux cours de recyclage professionnel pour les adultes;
- l’accès aux soins médicaux et à toute autre forme d’assistance requise en particulier pour les catégories ayant des besoins spécifiques (mineurs, victimes de torture, viol ou autre formes de violence psychologique, physique ou sexuelle, etc.);
- l’accès à un hébergement approprié;
- l’accès aux programmes facilitant l’intégration dans la société d’accueil et à ceux facilitant le retour volontaire dans leur pays d’origine.