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Préjugés

Détention? La criminalisation des exilé·es

Des conditions carcérales trop proches de la détention pénale

Dans un arrêt du 2 mai 1996, le Tribunal fédéral (TF) insistait sur l’importance de séparer la détention pénale de la détention administrative, ceci, dans le but de « montrer que la détention n’a pas été ordonnée sur la base d’une suspicion d’infraction pénale, mais qu’elle a un fondement purement administratif » (ATF 122 II 49 du 2.05.1996, consid. 5). Depuis 2019, la nécessité d’exécuter la détention administrative dans des établissements spécialement dédiés à celle-ci est inscrite dans la loi (art. 81, al. 2 LEI). Le 31 mars 2020, un arrêt du TF a également spécifié que le placement dans des sections séparées d’établissements pénitentiaires peut avoir lieu seulement dans des cas exceptionnels, justifiés, et pour une brève durée (arrêt du TF 2C_447/2019).

Dans la réalité, cette jurisprudence est restée lettre morte : l’influence du pénal prédomine largement dans les conditions matérielles de la détention administrative. La grande majorité des cantons utilisent d’anciens établissements pénitentiaires pour loger les personnes en détention administrative, voire les logent dans des secteurs spéciaux de prisons. Ainsi, à l’exception de l’établissement de Frambois (géré par un Concordat des cantons de Genève, Vaud et Neuchâtel), à l’architecture moins carcérale, les cantons ont généralement recours à des prisons ordinaires. En 2018, parmi une trentaine d’établissements utilisés pour la détention administrative, seuls quatre étaient utilisés exclusivement à cet effet. Tous les autres sont des prisons qui enferment également des prévenu·es ou des détenu·es en exécution de peines (bien que, en principe, dans un bâtiment, un étage ou une section séparés).

Dans ce contexte, les migrant·es détenu·es en vue de leur renvoi se retrouvent sous le même toit que des personnes en attente de jugement ou purgeant une peine. Situation suscitant de forts sentiments d’injustice et d’incompréhension chez les personnes qui en sont victimes (voir ici). Confusion également pour le personnel pénitentiaire dont la formation, axée sur le domaine pénal, ne comprend pas de sensibilisation aux problématiques spécifiques à l’asile et aux droits des migrant·es (lire aussi : « Le regard des geôliers. Agents du contrôle migratoire ? » dans le numéro 164 de la revue Vivre Ensemble, septembre 2017).

Même les bâtiments conçus spécifiquement pour la détention administrative – et donc spatialement et symboliquement distincts des prisons – intègrent les standards des espaces de nature carcérale. L’utilisation de barreaux dans les cellules, des cours de promenade bétonnées et grillagées, pas (ou peu) d’activités ou de programmes d’occupation, et plus largement des pratiques qui priorisent la sécurité en sont des exemples notables. Ces lieux sont donc à la fois marqués par une architecture et une culture institutionnelle pénitentiaires.

Avec une capacité actuelle de 106 places (dont vingt sont réservées pour des femmes), [le centre de détention administrative de Zurich] est situé à proximité de l’aéroport international de Kloten et à côté d’un pénitencier. Les deux établissements ont été planifiés conjointement, sont contigus et reliés par un couloir. Ils partagent certains espaces et possèdent une direction commune. L’appellation Ausschaffungsgefängnis ainsi que la gestion commune avec le pénitencier laissent ainsi entrevoir une conception fortement carcérale de l’institution, qui se reflète également dans son architecture. Construite sur le modèle des prisons préventives, avec un haut standard de sécurité, la prison de l’aéroport de Zurich est un bâtiment imposant, principalement en béton, où les cellules sont organisées en ailes de prison, séparées en sections par des barreaux. Malgré les récents efforts de l’administration carcérale pour rendre les lieux plus accueillants, l’espace reste marqué par un imaginaire lié à la prison et à la punition.

Source : Rezzonico, Laura (2020). « Confiner et exclure les ‘abuseurs’ : la détention administrative des demandeurs et demandeuses d’asile », in Leyvraz, Anne-Cécile, Raphaël Rey, Damian Rosset & Robin Stünzi, Asile et Abus : Regards pluridisciplinaires sur un discours dominant, Zurich, Seismo, p. 223-224. 

Ceci a régulièrement amené la Commission nationale de prévention de la torture (CNPT) à conclure, dans ses rapports d’activités, qu’au niveau national le régime carcéral appliqué aux personnes faisant l’objet d’une mesure de détention administrative était trop restrictif. A noter toutefois que des changements s’observent dans la gestion de ces institutions, comme en témoigne l’exemple de la prison de Moutier dans le Jura bernois.

Références

Rezzonico, Laura (2020). « Confiner et exclure les ‘abuseurs’ : la détention administrative des demandeurs et demandeuses d’asile », in Leyvraz, Anne-Cécile, Raphaël Rey, Damian Rosset & Robin Stünzi, Asile et Abus : Regards pluridisciplinaires sur un discours dominant, Zurich, Seismo, p. 223-224.