Aller au contenu
Préjugés

Mensonge ? Vraisemblance et preuves

L’audition, ou l’épreuve du récit

Le travail d’instruction des demandes d’asile repose sur deux auditions – une première sur les données personnelles, une deuxième sur les motifs d’asile. Elles se présentent comme des formes d’interrogatoire. Les informations récoltées afin de statuer sur la demande d’asile constituent les principaux moyens de preuve sur lesquels les fonctionnaires du SEM (aussi appelés spécialistes asile) peuvent baser leur décision. Le fardeau de la preuve incombe ainsi aux requérant·e·s.

À la suite des deux auditions, les spécialistes asile doivent se prononcer sur l’octroi de l’asile ou le rejet de la demande, ainsi que sur l’exécution du renvoi.

Lors de l’audition sur les motifs d’asile, les instructeurs·trices mettent à l’épreuve les différents éléments des récits des personnes requérantes afin d’en vérifier la crédibilité. Ce sont en effet ces fonctionnaires qui sont, en première ligne, confrontés à la tâche de juger de la véracité des récits présentés – dont les preuves formelles sont souvent difficiles à réunir – et de déterminer s’ils peuvent être qualifiés de vraisemblables. Ils ou elles testent la capacité de la personne requérante à présenter un récit paraissant à leurs yeux cohérent, logique et probable. 

En cas de doute quant à la véracité des faits, les collaborateurs·trices disposent de toute une série de mesures complémentaires, comme des analyses linguistiques, des analyses-pays, des expertises médicales, des techniques de vérification de documents produits, ou encore des demandes à l’ambassade. Plusieurs de ces mesures sont controversées, à l’image des tests osseux effectués afin de déterminer l’âge des jeunes migrant·e·s et jugés ni déontologiques ni fiables, ou encore des analyses linguistiques et de provenance « Lingua » visant à identifier l’origine d’une personne requérante et pouvant mener à des conclusions erronées.

Ces procédures traduisent le renforcement des « épreuves de vérité » auxquelles sont soumis·e·s les demandeurs·ses d’asile.

Toutefois, dans la pratique, l’évaluation de la vraisemblance présente des nuances et des enjeux qui échappent à sa définition théorique, ainsi qu’à des savoirs-experts prétendument objectifs et neutres. La situation d’entretien représente aussi une zone de représentations et de facteurs subjectifs qui viennent influencer la prise de décision. L’évaluation du récit se fait donc sur la base d’une grande marge d’appréciation et de subjectivité de la part des personnes chargées de l’audition.

Il convient également de souligner que du côté des personnes auditionnées, la faculté de récapituler avec exactitude les faits servant à l’évaluation de la vraisemblance est souvent altérée. Origines socioculturelles, barrières linguistiques et problèmes de communication, troubles post-traumatiques, situation de stress liée à l’audition ou encore méfiance vis-à-vis des autorités : les facteurs influençant le déroulement de l’audition et pouvant mener à des propos contradictoires et/ou incohérents sont nombreux. A cela vient s’ajouter le rôle non négligeable des interprètes pouvant également donner lieu à des malentendus. Ces nombreuses barrières culturelles, sociales et psychologiques rendent ainsi la communication et la compréhension difficiles lors des auditions des requérants d’asile. Or, rappelons-le, l’audition joue un rôle prépondérant sur l’issue de la demande d’asile, à savoir sur la décision de la Suisse d’accorder ou de refuser sa protection. L’enjeu peut donc être vital.

Identifier les persécutions liées au genre lors de l’audition

En Suisse, les persécutions visant spécifiquement les femmes sont reconnues par la loi depuis la révision totale de la LAsi en 1998 qui établit à l’art. 3 al. 2 qu’ « il y a lieu de tenir compte des motifs de fuite spécifiques aux femmes ».

Depuis, le SEM a développé une pratique interne pour « les persécutions liées au genre » ; un dispositif d’interprétation des textes juridiques analysé par Jonathan Miaz dans son article intitulé Les « persécutions liées au genre » en Suisse : les frontières du droit d’asile en question (voir aussi « Persécutions liées au genre, une lente reconnaissance » dans le n°162 de Vivre Ensemble). Sont aujourd’hui reconnus comme des motifs de fuite spécifiques aux femmes le risque de subir des mutilations génitales, les mariages forcés, les crimes d’honneur ou d’autres atteintes à l’intégrité corporelle en raison de la violation des normes sociales, ainsi que la violence domestique.

Toutefois, selon l’OSAR, une femme demandeuse d’asile rencontre de manière générale plus de difficultés à apporter des preuves suffisantes sur la persécution, ainsi que sur l’absence de protection dans son pays d’origine ; les actes de persécution ayant généralement lieu dans la sphère privée et domestique. Comme l’a également mis en lumière un rapport de l’ONG Terre des femmes, le contrôle de la vraisemblance des récits des requérantes d’asile en audition est le principal obstacle à l’acceptation des demandes d’asile de femmes, en cela qu’il amène à discréditer leur témoignage. En ignorant le genre ou le sexe comme causes de persécutions, la procédure d’asile ne tiendrait ainsi pas compte de la manière différenciée dont les femmes sont affectées par les conflits et les guerres.

Povlaka | Le voyage de Neyma, BD évoquant les persécutions liées au genre
Réfugié·e LGBTQI et l’obstacle de la vraisemblance +

Dans de nombreux pays, les personnes LGBTQI – lesbienne, gay, bisexuel, trans, queer et intersexe – sont exposées à de sérieux préjudices en raison de leur orientation sexuelle et/ou de leur identité de genre réelle ou supposée. Le numéro 42 de la revue Migrations Forcées paru en 2013 s’intéresse spécifiquement aux atteintes aux droits des migrant·e·s forcé·e·s qui s’identifient comme lesbiennes, gays, bisexuel·le·s, transgenres, queer ou intersexué·e·s.

Toutefois, comme le détaille la brochure d’information de Queeramnesty, le besoin de protection des requérant·e·s LGBTQI est difficilement pris en compte lorsqu’ils ou elles déposent une demande d’asile. Ces personnes se voient par exemple reprochés d’avoir dissimulé, voire changé leur identité, leurs opinions ou leurs caractéristiques par honte et/ou par peur de persécutions. Il arrive également que leur allégation soit rejetée comme non crédible car déclarée tardivement aux autorités, alors même qu’il leur est souvent difficile de parler ouvertement de leur orientation sexuelle. Enfin, les motifs d’asile mis en avant par les personnes LGBTQI sont rarement considérés dans leur globalité (c’est-à-dire comme une accumulation d’événements et de pression psychique devenant insoutenable), mais plutôt comme des événements isolés.

En Suisse également, la pratique des autorités est problématique concernant les personnes requérantes d’asile LGBTQI. En l’absence de motif de persécution spécifique dans la Loi sur l’asile et la Convention de Genève au statut des réfugiés, elles sont considérées comme appartenant à un « certain groupe social » (art. 3 al. 1 LAsi). Constatant le peu d’attention accordée aux persécutions dont sont spécifiquement victimes les personnes homosexuelles, bisexuelles et transgenres, la Section suisse d’Amnesty International a d’ailleurs demandé en 2010 au Parlement d’en tenir compte dans la législation sur l’asile. Plusieurs plateformes d’informations, dont humanrights.ch ou Asile LGBT Genève, proposent divers outils et documents à ce sujet.

Références et documentation +