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Préjugés

Détention? La criminalisation des exilé·es

Le quotidien et le vécu des personnes détenues

À quoi ressemble le quotidien en détention et comment est-il vécu par les personnes détenues ? Nous vous proposons ci-dessous un extrait d’une publication de Laura Rezzonico, chercheuse en sciences sociales ayant effectué une longue recherche de terrain sur la détention administrative.

« La structure des journées dépend beaucoup de l’établissement. À Bässlergut (Bâle), par exemple, les portes des cellules sont ouvertes à 7h15 le matin et ferment à 17h l’après-midi. Pendant ce temps, les détenus peuvent se déplacer à l’intérieur de leur section, comprenant une petite salle de loisirs, et ont accès à une cour de promenade 3 heures par jour. Ils ont également la possibilité de travailler 2,5 heures par jour (étant rémunérés 6 francs par jour) et de recevoir des visites, bien que les horaires des deux activités se chevauchent parfois. À la prison régionale de Berne, en section masculine (Wohngruppe), les détenus peuvent bouger dans leur section – couloir et cellules – de 7h30 à 10h45 et de 18h30 à 20h, et n’ont pas d’autre activité qu’une heure de promenade dans une cour située sur le toit et complètement grillagée. […]

Malgré ces différences entre établissements, le quotidien est décrit par presque tous les détenus comme monotone et ennuyeux, étant caractérisé par une privation non seulement de la liberté de mouvement, mais aussi de ses propres choix, que ce soit au niveau de ce qu’on mange, de la musique qu’on écoute, des personnes avec qui on passe du temps. Bien que des liens d’amitié se créent entre personnes détenues – dans certains cas, ces liens continuent également après la détention – la cohabitation forcée dans un espace étroit peut également amener à des conflits qui isolent davantage certains détenus, transformant le quotidien en une « double prison », comme décrit par un détenu. La langue est aussi une cause d’isolement pour certains détenus ne trouvant personne qui les comprend.

Si le quotidien est perçu comme monotone, il est aussi vécu comme un temps d’attente et vide de sens, sentiment qui devient particulièrement lourd lorsque la détention se prolonge : « On perd le temps ici. Je suis pas un gamin de vingt ans. J’ai bientôt 33 ans, et je cherche ma vie, je cherche de faire une famille, je cherche mon avenir. Et comme ça … c’est dur. Deux ans de prison ou bien une année, c’est longtemps … (…). Je crois que j’ai perdu mon avenir comme ça » (Nassim, détenu depuis 2 mois). L’impuissance devient alors une source majeure de frustration et de souffrance.

[…]

Ce qui ressort de manière importante dans les conversations avec les personnes détenues, c’est un fort sentiment d’injustice, relié souvent à l’incompréhension de ce qui amène les autorités à détenir des personnes n’ayant commis aucun crime : « Mon cas, c’est pas normal de me retrouver ici (…). Ma demande d’asile a été refusée, (…) la police est venue, ils m’ont mis les menottes, ils m’ont ramené ici. Personne ne m’a dit pourquoi. C’est pas bon pour ma réputation, te trouver dans une prison comme ça ! Je ne suis pas un criminel ! Je suis un demandeur d’asile, ils ont droit de refuser ma demande, mais pas de me mettre en prison ! » (Omar, détenu depuis une semaine). » De cette citation ressort également un sentiment de stigmatisation lié à la prison comme institution pénale. En effet, les détenus m’ont souvent dit cacher à leurs proches le fait d’être détenus, étant préoccupés que ceux-ci ne croient pas qu’ils soient en prison pour le seul fait d’être en situation irrégulière. »

Source : Rezzonico, Laura (2019). « La détention administrative entre droit, pratique et vécu des personnes détenues », Asyl 4, p. 3-6.

D’autres récits et témoignages sont disponibles aux liens suivants :

« Migrants en détention : ‘J’ai commencé une grève de la faim dès mon arrivée en prison’ », swissinfo.ch, 6 novembre 2019.

« Welcome to Geneva. Les zones de transit : une détention déguisée », Vivre Ensemble 158, juin 2016.

« Tesfaleem, 27 ans, en prison pour son refus d’être renvoyé en Italie », asile.ch, 26 juin 2015

« Experience and Understanding of Detention: One Man’s Story After Release », Border Criminologies (blog), 25 avril 2014.