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Préjugés

Mensonge ? Vraisemblance et preuves

La vraisemblance : crédibilité et pouvoir de décision

La procédure d’asile vise à déterminer si une personne peut se voir accorder le statut de réfugié ou une protection internationale.
Dans ce contexte, outre les éléments de preuve matériels, l’audition du requérant·e revêt une importance fondamentale. C’est lors de cet interrogatoire approfondi qu’il ou elle devra exposer ses motifs d’asile. Et c’est à partir de ses propos que le ou la fonctionnaire chargé·e de l’audition prendra sa décision. Seul·e, la plupart du temps.
Une information à retenir dans la mesure où la majorité des demandes d’asile sont refusées pour «invraisemblance».

Bases légales

En droit suisse, la vraisemblance est mentionnée à l’art. 7 LAsi :

« Quiconque demande l’asile (requérant) doit prouver ou du moins rendre vraisemblable qu’il est un réfugié».

Cette notion est précisée par deux alinéas selon lesquels «la qualité de réfugié est vraisemblable lorsque l’autorité estime que celle-ci est hautement probable» (art. 7 al. 2 LAsi) et «ne sont pas vraisemblables notamment les allégations qui, sur des points essentiels, ne sont pas suffisamment fondées, qui sont contradictoires, qui ne correspondent pas aux faits ou qui reposent de manière déterminante sur des moyens de preuve faux ou falsifiés» (art. 7 al. 3 LAsi).

Selon l’art. 8 LAsi, les personnes requérantes sont, de leur côté, tenues de collaborer à la constatation des faits. Dans le cadre d’une situation d’interrogatoire en face-à-face avec le ou la fonctionnaire du SEM chargé·e du dossier (aussi appelé·e « spécialiste asile »), elles doivent en particulier révéler leur identité, âge et origine, indiquer leurs motifs de fuite ou d’asile et présenter de manière complète les moyens de preuve correspondants. 

Une question d’interprétation

Vu sur twitter. Citation utilisée par l’association Open Society pour diffuser l’article de Sebastian Kraus et Ellen Riotte «How Do You Measure Persecution?», publié le 22 juillet 2015.

Toutefois, la loi sur l’asile ne définit pas la notion de vraisemblance. Celle-ci est fortement liée à l’interprétation qu’en fait le ou la spécialiste asile. Celui-ci ou celle-ci doit se faire une conviction personnelle quant à la crédibilité du récit de la personne qu’il ou elle auditionne. En ce sens, le fardeau de la preuve ne revient pas au SEM, mais aux personnes demandeuses d’asile qui doivent présenter un récit crédible aux yeux des collaborateurs·trices chargé·es de prendre une décision.

Selon la doctrine et la jurisprudence, la vraisemblance est évaluée selon quatre critères : les allégations doivent être : suffisamment fondées concluantes plausibles ; et apparaître personnellement crédibles. En ce sens, les indications données par le ou la requérant·e doivent être autant précises et détaillées, constantes et cohérentes que possible aux yeux de la personne responsable du dossier. Elles doivent également correspondre à « l’expérience de la vie », ainsi qu’au comportement qu’on peut attendre d’une victime de persécution.

Les quatre critères de la vraisemblance détaillés +
  • Le fondement des allégations du requérant:

Ce critère porte sur la substance même des allégations faites par le requérant. Les indications données par celui-ci doivent être autant que possibles détaillées et précises. Cette condition n’est pas remplie si les déclarations sont vagues ou se limitent à des lieux communs.

  • Le caractère concluant des allégations:

Les allégations ne doivent pas être contradictoires sur des points essentiels. Une contradiction n’est déterminante que si elle porte sur des points essentiels des motifs d’asile, soit notamment le moment, l’étendue et les causes de la persécution. Des contradictions relatives à des points secondaires, tels que l’itinéraire de voyage et les circonstances de la fuite sont généralement considérées comme moins déterminantes.

  • La plausibilité des allégations:

Les faits décrits par le requérant doivent être conformes avec les faits connus et l’expérience générale de la vie. L’examen de la conformité avec les faits connus suppose que les autorités en matière d’asile disposent de connaissances précises sur les pays d’origine des requérants. L’examinateur compare également les allégations du requérant avec « l’expérience générale de la vie ».

  • La crédibilité du requérant:

La personne qui souhaite obtenir le statut de réfugié doit apparaître personnellement digne de foi. La crédibilité est amoindrie si ses allégations reposent sur des moyens de preuve falsifiés, s’il tait ou expose faussement des faits importants ou s’il manque à son obligation de collaborer, prévue à l’article 8 LAsi.

Les quatre éléments constitutifs de la vraisemblance énoncés ci-dessus apparaissent a priori relativement flexibles ou souples. Or, les difficultés liées à son interprétation et à sa mise en œuvre sont nombreuses. Souvent appliquée de manière trop stricte, l’évaluation de la vraisemblance est en grande partie influencée par des difficultés de communication et des différences socio-culturelles. Des facteurs psychologiques et/ou traumas peuvent affecter la capacité du ou de la requérant·e à restituer son histoire. Par ailleurs, l’interprétation peut aussi être influencée par les sensibilités, connaissances et représentations des spécialistes asile. 

Plusieurs études menées par des chercheurs·euses au sein du SEM relèvent en outre une forte « culture du soupçon ». Celle-ci s’incarne au quotidien dans l’attitude sceptique et suspicieuse des collaborateurs·trices qui cherchent à traquer les « abus » et à « protéger le système » en valorisant ce qu’ils considèrent comme la valeur humanitaire de l’asile. Dès lors, les exigences en matière de vraisemblance des récits sont particulièrement élevées : elles se traduisent notamment dans les attentes que les fonctionnaires du SEM ont à l’égard de leur « qualité » et de leur contenu, ainsi que des réponses qui sont apportées par les requérant·es en audition.

Position du Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés sur la vraisemblance +

En tant qu’organisation internationale spécialisée dans la protection des personnes réfugiées, le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (HCR) publie régulièrement des fiches d’information et prises de position relatives au domaine de l’asile, y compris en ce qui concerne la procédure d’asile suisse

En 2011, en collaboration avec le SEM (anciennement ODM), le HCR Suisse publiait un rapport sur la qualité des décisions en matière d’asile en Suisse. En abordant la question de l’examen de la vraisemblance, il émettait un avis critique au sujet de la recherche incessante de contradictions dans le récit des requérant·e·s, alors même que celles-ci sont inévitables chez des personnes soumises à une situation de stress telle que l’audition, voire même qui sont de base angoissées des suites de persécutions qu’elles ont subies.

Dans de nombreux cas, l’ODM invoque des contradictions pour constater de manière générale l’invraisemblance des allégations de la personne requérant l’asile, de sorte qu’un examen plus approfondi des allégations, tel qu’il est exigé par la loi, n’est pas effectué. Les décisions négatives en matière d’asile sont fréquemment fondées sur l’argument de contradictions entre différentes déclarations faites durant l’interrogatoire de la personne et son audition sur les motifs d’asile (audition). Il apparaît qu’une importance excessive est accordée à l’obtention de données aussi exactes que possible et complètement cohérentes entre elles. Dans certains cas, le manque de plausibilité est décrété sur la base de déclarations divergentes ou fausses concernant des aspects accessoires, comme par exemple l’itinéraire du voyage. (p. 5)

Dans le cadre de la nouvelle procédure d’asile entrée en vigueur en 2019, le HCR Suisse a également publié des recommandations relatives au conseil et à la représentation juridique. En soutenant la personne requérante dans les démarches en vue de l’obtention et/ou traduction d’éléments de preuve, ceux-ci jouent en effet un rôle clé en ce qui concerne l’examen de la vraisemblance. Le document souligne que la participation systématique d’un·e représentant·e juridique aux auditions est indispensable, du fait notamment que la vraisemblance des allégations peut être mise en doute en cas de contradictions entre les informations recueillies dans le cadre de deux entretiens et/ou auditions.

Références et rapports relatifs à la vraisemblance +