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Préjugés

Détention? La criminalisation des exilé·es

Qu’est-ce que la détention administrative ?

La détention administrative est une mesure de contrainte visant à assurer l’exécution du renvoi des personnes étrangères sans titre de séjour valable. Introduite en Suisse en 1986 (la loi prévoyait alors un maximum de 30 jours de détention), elle a ensuite fait l’objet de durcissements, notamment en 1994 avec l’extension de la durée et des motifs de détention.

Cette mesure n’est en rien liée à un crime ou à une enquête d’ordre pénal et ne doit donc pas être confondue avec la détention pénale. La détention administrative est dès lors une exception en ce qu’elle a uniquement pour but d’assurer l’exécution d’une procédure de renvoi ordonnée par les autorités administratives, à savoir le Secrétariat d’État aux migrations (SEM) dans le cadre de l’asile ou les cantons dans les cas ne relevant pas de l’asile. Environ deux tiers des personnes détenues sont passées par une procédure d’asile. Parmi celles-ci, une partie a reçu une décision d’asile négative et attend le renvoi dans son pays d’origine. Un grand nombre de personnes est aussi détenue en vue d’un renvoi vers un pays européen, notamment en application du Règlement de Dublin III.

Une détention aux formes multiples

La loi fédérale sur les étrangers et l’intégration (LEI) prévoit différents types de détention aux art. 73-78 LEI, en d’autres termes différentes mesures qui restreignent la liberté personnelle et de mouvement d’une personne sans ou contre sa volonté. Quatre de ces mesures de contrainte peuvent être regroupées sous le terme de « détention administrative » :

  • La détention en phase préparatoire (art. 75 LEI) peut intervenir pendant la préparation de la décision sur le séjour des personnes concernées. Elle n’est que rarement utilisée ;
  • La détention en vue du renvoi ou de l’expulsion (art. 76 LEI) concerne les personnes qui se sont vues notifier une décision de première instance de renvoi ou d’expulsion – c’est la forme de détention la plus courante ;
  • La détention dans le cadre de la procédure Dublin (art. 76a LEI) vaut pour les personnes pour lesquelles un autre État Dublin que la Suisse est responsable et qui refusent de coopérer pour leur transfert ;
  • La détention pour insoumission (art. 78 LEI) est prononcée contre des personnes qui empêchent leur renvoi ou leur expulsion par leur comportement. Elle concerne une minorité de personnes.

La détention administrative ne peut excéder six mois au total (art. 79 al. 1 LEI). Toutefois, avec l’accord de l’autorité judiciaire cantonale, la durée maximale de la détention peut être prolongée de douze mois, au plus. C’est par exemple le cas lorsque les personnes concernées refusent de collaborer avec les autorités et/ou que l’obtention des documents nécessaires au départ prend du retard. Fruit d’un durcissement constant, la durée maximale de la détention est ainsi passée de 30 jours en 1986 à 18 mois en 2015. (La détention dans le cadre de la procédure Dublin fait l’objet de plusieurs exceptions, comme discuté ici).

La durée maximale de la détention pour les mineur·es, qui peuvent être détenu·es à partir de l’âge de 15 ans (voir ci-dessous), est de douze mois.

Droits fondamentaux

Pour que la détention administrative soit légale, il faut qu’elle respecte le principe de proportionnalité. L’art. 36 al. 3 de la Constitution fédérale stipule clairement qu’une restriction des droits humains ne peut être légitime que si elle est proportionnée au but visé, c’est-à-dire que le moyen choisi (la détention), ainsi que sa durée et ses conditions soient propres à atteindre le but fixé (le renvoi). Si cet objectif n’est pas ou plus atteignable, alors la détention ne saurait être légitime. Toute décision de privation de liberté doit donc être évaluée au cas par cas.

Par ailleurs, le principe de proportionnalité exclut la privation de liberté si d’autres mesures moins coercitives peuvent effectivement être appliquées pour arriver à l’objectif visé, en l’occurrence, garantir l’exécution du renvoi des personnes étrangères dépourvues d’un droit de séjour en Suisse. La privation de liberté ne peut donc être utilisée qu’en dernier recours (ultima ratio).

Enfin, la détention administrative ne contrevient pas aux conventions internationales relatives aux droits humains, pour autant qu’elle se fasse dans des conditions adaptées aux motifs mentionnés ci-dessus. Ces personnes n’ayant pas commis de délit et n’étant en principe pas dangereuses, leurs conditions de vie doivent être moins restrictives et moins limitées par des mesures de sécurité que pour l’exécution des peines.

Les normes du droit international +

Plusieurs normes internationales s’appliquent à la détention des personnes étrangères, notamment la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CourEDH) et de divers comités des Nations Unies, les dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) et du Pacte II de l’ONU relatif aux droits civils et politiques, ainsi que de la Convention des droits de l’enfant et du Comité européen pour la prévention de la torture (CPT).

La « Directive sur le retour » de l’Union européenne contient également des dispositions concrètes sur la manière dont doit être conçue la détention administrative. A noter qu’en raison des accords de Schengen et de Dublin, les normes juridiques de l’UE s’appliquent aussi à la Suisse.

Les normes juridiques découlant des droits humains applicables à la question de la détention administrative concernent notamment : le type d’établissements (ils ne doivent pas revêtir de caractère pénal) ; les conditions de vie et l’infrastructure (par exemple, les détenu·e·s doivent bénéficier d’une plus grande liberté de mouvement à l’intérieur du centre) ; les contacts avec le monde extérieur, qui doivent autant que possible être autorisés; les mesures de sécurité et de protection, qui ne peuvent être prises qu’au dernier recours.

La Centre suisse de compétence pour les droits humains (CSDH) propose une synthèse trimestrielle de la jurisprudence internationale et nationale et de l’évolution observée dans le domaine de la privation de liberté.

De nombreuses lacunes à combler

Or, en Suisse, la proportionnalité est précisément l’un des principaux problèmes de la détention administrative, où l’on observe un écart entre les objectifs fixés par le Législateur et les effets concrets de cette mesure. Plusieurs constatations sont révélatrices d’un antagonisme entre l’efficacité de la détention administrative et sa proportionnalité.

Comme le montre une étude récente, le but visé par la détention administrative n’est dans 20 % des cas pas atteint (soit dans un peu plus de 1’000 ordres de détention par année en moyenne). Le taux de renvoi varie toutefois selon la durée de la détention : si le taux est de 93 % après une durée de détention comprise entre 5 et 30 jours, il diminue progressivement jusqu’à atteindre 39 % pour les personnes détenues entre 9 et 18 mois (voir aussi partie statistique ci-dessous). Au-delà d’une durée de 30 jours, le taux de départ est donc plus faible… et la mise en détention peu légitime.

Le rapport sur la « Détention administrative des requérants d’asile » du 1er novembre 2017 montre ainsi que si la détention dans les cas Dublin est particulièrement rapide – et donc efficace –, elle ne l’est pas autant pour les personnes devant être renvoyées dans leur pays d’origine pour qui la procédure prend souvent plus de temps. Pour près d’un tiers de ces personnes, l’objectif de départ n’est pas atteint, souvent faute d’accord de réadmission conclu entre la Suisse et l’État d’origine.

En outre, comme le soulignent de nombreux rapports, la Suisse ne respecte toujours pas plusieurs dispositions relatives à la détention administrative. Les législations cantonales ne tiennent pas assez compte des caractéristiques de cette détention non pénale et adoptent ainsi des dispositions qui ne sont pas adéquates, notamment :

  • La plupart des infrastructures utilisées sont inadaptées à ce type de détention (voir ici) ;
  • Les détenu•es passent un trop grand nombre d’heures en cellule et ont un accès limité aux espaces communs, ainsi qu’aux lieux de promenade ;
  • Les possibilités d’occupation et de loisirs sont insuffisantes ;
  • La prise en charge médicale, et notamment psychologique, ne répond pas ou presque pas aux besoins particuliers des personnes étrangères en détention administrative ;
  • Les besoins des personnes vulnérables, notamment des familles et des enfants, ne sont pas suffisamment pris en compte.

A l’échelle internationale, le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) constate également que la détention administrative devient une norme dans de nombreux États, et non une exception comme cela devrait l’être. Elle y est pratiquée de manière quasi automatique, parfois sans garantie du respect des droits des migrants et de procédure. Afin de rendre le recours à cette mesure exceptionnel, le HCR appelle notamment à :

  • Mettre fin à la détention des enfants ;
  • Garantir que des alternatives à la détention soient disponibles légalement et en pratique ;
  • Lorsque la détention est nécessaire et inévitable, garantir que les conditions de détention soient conformes aux standards internationaux, notamment en sécurisant l’accès à ces lieux pour le HCR et/ou les instances de contrôle.

(Voir aussi : « Les principes directeurs du HCR en matière de détention des migrant•es » dans le numéro 158 de la revue Vivre Ensemble, août 2016).

La détention des mineur·es : une pratique qui perdure

En Suisse, la détention de mineur·es (de plus de 15 ans) est une réalité. Cela fait de nombreuses années que cette pratique est jugée inadmissible en regard du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant et que les fortes disparités cantonales en la matière sont décriées par diverses organisations et institutions.

Dans un rapport de mai 2019, la Commission nationale de prévention de la torture (CNPT) révélait qu’entre 2017 et 2018, 37 mineur·es avaient été placé·es en détention administrative pour des durées de 2 à 120 jours. Il s’agissait de demandeur·ses d’asile âgés entre 15 et 18 ans. Leur demande ayant été rejetée, ces jeunes ont été emprisonné·es dans l’attente de leur expulsion du territoire suisse. Or, la conclusion de la Commission est sans appel : « Dans le contexte de la migration, la détention de mineurs, accompagnés ou non accompagnés par un adulte, est jugée inadmissible eu égard au principe de l’intérêt supérieur de l’enfant qui doit primer sur le statut d’immigration. »

Plusieurs associations ont dénoncé l’emprisonnement des mineur·es en Suisse (voir par exemple le rapport de Terre des hommes). Même le commissaire externe aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe a recommandé à la Suisse en 2017 de ne plus emprisonner de personnes de moins de 18 ans.

Malgré de vives critiques, le Parlement refuse toutefois d’interdire cette pratique. En mars 2021, par 17 voix contre 16, le Conseil des États rejetait une initiative cantonale genevoise qui souhaitait l’interdiction explicite de la détention de mineur·es dans la loi fédérale. A noter toutefois que plusieurs cantons ont recours à des mesures alternatives n’impliquant pas de privation de liberté afin de garantir dans une large mesure qu’aucun enfant ne soit placé en détention administrative. Deux cantons, Genève et Neuchâtel, ont inscrit cette interdiction dans leur législation cantonale respective.

La Suisse n’est pas la seule à avoir recours à la détention de mineur·es. La pratique est largement répandue dans l’Union européenne. Une étude de l’ONU relève qu’au moins 33’000 enfants sont enfermés chaque année dans le contexte migratoire, dans au moins 77 États.

Source : « Critiquée, la Suisse continue d’emprisonner des enfants », swissinfo.ch, 6 novembre 2019. Lire aussi : « Détention administrative des enfants : non c’est non ! », Vivre Ensemble 170, décembre 2018.

Références +

Achermann, Christin, Bertrand, Anne-Laure, Miaz, Jonathan & Laura Rezzonico, « La détention administrative de personnes étrangères en quelques chiffres », en bref 12, Janvier 2019.

CNPT, Rapport au Département fédéral de justice et police (DFJP) et à la Conférence des directrices et directeurs des départements cantonaux de justice et police (CCDJP) relatif au contrôle des renvois en application du droit des étrangers d’avril 2018 à mars, 24 mai 2019.

CNPT, Résumé du rapport thématique de la Commission nationale de prévention de la torture sur la prise en charge médicale dans les établissements de privation de liberté en Suisse (2018 – 2019), 14 novembre 2019.

CSDH, « Soins médicaux en détention : exigences en matière de droits humains », 13 décembre 2019.

humanrights.ch, « La détention administrative en application du droit des personnes étrangères : critiques et alternatives », 22 juillet 2021.

humanrights.ch, « La détention administrative des étrangers et étrangères : règles et légitimité d’une pratique discutable », 15 mars 2017.

Künzli, Jörg & Kelly Bishop (2020). « Ausländerrechtliche Administrativhaft in der Schweiz », Centre suisse de compétence pour les droits humaines (CSDH). Voir aussi le résumé de l’étude en français, intitulé « La détention administrative en application du droit des étrangers ».

Rezzonico, Laura (2020). « Confiner et exclure les ‘abuseurs’ : la détention administrative des demandeurs et demandeuses d’asile », in Leyvraz, Anne-Cécile, Raphaël Rey, Damian Rosset & Robin Stünzi, Asile et Abus : Regards pluridisciplinaires sur un discours dominant, Zurich, Seismo, p. 219-239.

Rezzonico, Laura (2019). « La détention administrative entre droit, pratique et vécu des personnes détenues », Asyl 4, p. 3-6.

Terre des hommes (2018). « État des lieux sur la détention administrative des mineur·e·s migrant·e·s en Suisse – Rapport 2018 », novembre 2018.