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Préjugés

Oisiveté? Accès au marché de l’emploi

Améliorer l’employabilité: les « remèdes »

Les avantages et les solutions

Depuis de nombreuses années, le constat est clair : une proportion importante de la population réfugiée fait face à de grandes difficultés pour s’intégrer socialement, pour trouver un emploi et pour subvenir à ses besoins de manière autonome (voir par exemple cet article publié dans la Tribune de Genève en 2016). Afin de combler ces lacunes, l’encouragement de l’intégration professionnelle et sociale des personnes dans le domaine de l’asile est devenu l’un des buts déclarés de la Confédération. 

Depuis 2019, un agenda commun, appelé Agenda Intégration Suisse (AIS), allie cantons et Confédération pour une intégration plus durable et rapide, notamment dans le monde du travail. Ce programme spécial de mesures d’intégration professionnelle et sociale individualisées représente une avancée considérable, voire un changement de paradigme étant donné que les personnes relevant de l’asile ont longtemps été exclues de la politique d’intégration suisse. Les personnes ayant obtenu à partir du 1er mai 2019 une admission provisoire (permis F) et un statut de réfugié·e (permis B) disposent désormais d’un suivi individuel et le forfait d’intégration alloué aux cantons est passé de 6’000 à 18’000 francs par personne.

Investissements et vivre-ensemble : qui profite de qui ?

Comme le relève le rapport « Un emploi au lieu de l’aide sociale » publié par la Conférence suisse des institutions d’action sociale (CSIAS) en 2017, le coût d’une meilleure intégration dans le marché du travail des personnes admises provisoirement et réfugiées est faible comparé aux bénéfices de la qualification professionnelle. En effet, selon leurs estimations, les charges supplémentaires de quelque 100 millions de francs par an occasionnés par les programmes de qualification seraient contrebalancées par des économies au moins aussi importantes du fait que les personnes deviennent indépendantes de l’aide sociale à long termeEleur ouvrant des perspectives professionnelles, on favorise également une meilleure inclusion des membres de leur famille dans la société

La possibilité de se former et d’intégrer le marché de l’emploi est la principale demande des personnes en procédure d’asile, titulaires d’une admission provisoire ou réfugiées. Souvent, elles expriment aussi par là leur volonté de contribuer au pays qui les accueille, notamment en payant des impôts. Car il ne faut pas oublier que celles et ceux qui travaillent cotisent à l’AVS, AI, Assurance-chômage et maternité et paient des impôts. Ces mêmes personnes ne peuvent toutefois pas y cotiser comme non-actifs et ne peuvent dès lors prétendre aux droits sociaux qui en découlent s’ils ou elles ne travaillent pas.

A noter que les requérant·es d’asile et les personnes admises à titre provisoire sont soumis·es à l’obligation de s’acquitter de la taxe spéciale sur les valeurs patrimoniales régie par les art. 85 à 87 LAsi. Ce prélèvement, individuel, est destiné au remboursement des frais de procédure et d’assistance occasionnés. 

Ainsi, si l’intérêt de la Suisse de favoriser l’intégration des personnes relevant de l’asile est certes économique, il est aussi – et surtout – social ! Il appartient donc à tous·tes les acteur·trices concerné·es de poser conjointement les jalons nécessaires à cette intégration pour contribuer non seulement au bien-être économique de la Suisse, mais aussi à la cohésion sociale du pays.

Sortir de l’aide sociale à la retraite? Possible à certaines conditions +

L’indépendance de l’aide sociale est un critère généralement déterminant pour obtenir une transformation du permis de séjour. Pour les personnes âgées relevant du domaine de l’asile n’ayant pas ou peu travaillé, l’âge de la retraite peut à cet égard représenter une éclaircie. Si elles sont affiliées à l’AVS, elles peuvent en effet demander les prestations complémentaires fédérales et cantonales après respectivement 5 et 10 ans de séjour, ce qui leur permet de voir leur situation financière considérablement améliorée et de sortir de l’aide sociale.

Mais l’affiliation à l’AVS n’est pas toujours possible. Alors que toute personne domiciliée en Suisse a l’obligation de s’affilier dès 18 ans quelle que soit sa situation financière, une exception avait en effet été introduite pour les demandeurs d’asile afin d’éviter des comptes en déshérence en cas de départ de Suisse. Si les réfugiés statutaires sont automatiquement affiliés, les personnes non-actives en procédure ou titulaires d’une admission provisoire ne le sont pas. L’idée est, pour les permis F, de procéder à une affiliation au dernier moment (64/65 ans) afin d’obtenir une petite rente AVS permettant ensuite l’octroi de prestations complémentaires et la sortie de l’aide sociale au bout de quelques années.

Dans la pratique, cette affiliation ne se fait pas sans heurts. Le versement de la cotisation annuelle (environ 500 francs par an) est difficile pour les personnes vivant avec un revenu largement inférieur à l’aide sociale ordinaire. Et si, comme l’Hospice général à Genève, les autorités refusent de régler ces montants, les personnes peuvent se retrouver endettées. Or une dette est un motif de refus d’octroi d’un permis de séjour plus stable…
La situation est par ailleurs obstruée pour les personnes arrivées lorsqu’elles ont déjà atteint l’âge de la retraite. Elles ne peuvent plus du tout s’affilier et perdent toute perspective de sortir de l’aide sociale, diminuant les perspectives de changement de permis.

La règle:

  • L’AVS, 1er pilier du système de prévoyance vieillesse, est une protection obligatoire de base pour toute la population ; toute personne domiciliée ou travaillant en Suisse est soumise à l’obligation de cotiser pour un montant minimum annuel en fonction du revenu (environ 500 francs par an). Arrivé à l’âge de la retraite, elle a alors droit à une rente AVS. Le non-paiement des cotisations dues entraîne une dette auprès de la caisse AVS.
  • Lorsque la rente AVS, calculée en fonction des cotisations, n’est pas suffisante pour couvrir les besoins vitaux des assurés, ceux-ci peuvent prétendre à des prestations complémentaires (PC). Les conditions dépendent du pays d’origine et si celui-ci a ou non une convention de sécurité sociale avec la Suisse. Ce qui n’est pas le cas de la plupart des pays d’origine des demandeurs d’asile. Dans une telle situation, il faut, pour avoir accès aux PC, non seulement avoir droit à une rente AVS, mais aussi être domicilié en Suisse depuis plus de 5 ans (PC fédérales) ou 10 ans (PC cantonales).

Qu’en est-il des personnes relevant du domaine de l’asile arrivées en Suisse à un âge avancé et/ou n’ayant pas pu travailler donc cotisé?
Tout dépend du statut, de l’âge à l’arrivée en Suisse, et de la durée du séjour en Suisse :

  • Elle est titulaire d’un statut de réfugié (permis B ou C réfugié), elle est automatiquement affiliée à l’AVS.
  • Les demandeurs d’asile (permis N) et les personnes admises provisoirement (permis F) ne sont affiliées qu’en cas de prise d’emploi. Elles ne peuvent s’affilier comme non actif qu’à l’âge de la retraite et si elles en font la demande. Une affiliation rétroactive de maximum 5 ans est alors possible pour autant que la personne ait résidé en Suisse sur toute la période.

A noter que l’obtention d’une rente AVS n’est possible que si la personne a cotisé durant un minimum de 12 mois.

Lorsque l’affiliation à l’AVS est accordée, le demandeur se voit dans l’obligation de payer ses cotisations. Pour les réfugiés statutaires, l’institution en charge de l’aide sociale couvre ces montants obligatoires. En ce qui concerne les personnes titulaires d’une admission provisoire (permis F), c’est au bon vouloir des cantons. Dans le canton de Vaud, l’EVAM prend en charge ces montants alors qu’à Genève, par exemple, l’Hospice général refuse de payer ces cotisations. Les personnes peuvent se retrouver aux poursuites ce qui peut compromettre leur accès à un permis B, puisque l’absence de dettes durant 5 ans est exigé par l’autorité.

Le calcul de la rente AVS étant tributaire du nombre d’années et du montant des cotisations, les rentes octroyées sont généralement très basses. Les personnes concernées peuvent ensuite demander une prestation complémentaire (voir ci-dessus), ce qui leur permettra de sortir de l’aide sociale. Or là encore, la durée de séjour en Suisse est déterminante. Et sans prestation complémentaire, les personnes restent à l’aide sociale, avec une perspective moindre d’obtenir un statut plus stable.

Lire également

Dans le but d’améliorer prioritairement l’employabilité de ces personnes, les mesures les plus fréquemment proposées sont celles visant l’insertion ou la réinsertion professionnelle (et ainsi à anticiper les ruptures de formation), l’acquisition de compétences linguistiques et de base, ainsi que les programmes d’occupation. De nombreux cantons proposent également un « job coaching », en d’autres termes une gestion au cas par cas tenant compte du potentiel individuel.

Comme le détaille le flyer Agenda Intégration, l’encouragement de l’intégration s’accompagne d’objectifs contraignants et quantifiés : toutes les personnes réfugiées et admises à titre provisoire doivent disposer de connaissances de base d’une langue nationale trois ans après leur arrivée ; 80% des enfants réfugiés (avant l’âge de quatre ans) sont en mesure de se faire comprendre dans la langue parlée à leur lieu de domicile ; deux tiers des jeunes entre 16 et 25 ans doivent suivre une formation professionnelle initiale cinq ans après leur arrivée ; la moitié des personnes réfugiées et admises à titre provisoire sont durablement intégrées dans le marché du travail sept ans après leur arrivée. 

Intégration : le revers de la médaille

La Confédération met massivement plus d’argent à la disposition des cantons pour promouvoir l’intégration. Conséquence : l’AIS s’incarne également dans toute une série de mesures de contrôle de qualité, de suivi financier et d’évaluation de l’efficacité particulièrement lourdes et rigides. La « rentabilité » et la « profitabilité » de l’AIS sont régulièrement contrôlées, notamment à travers des modèles mathématiques visant à évaluer leur rapport coût/efficacité. De la même manière, en fonction de leurs « potentiels », les personnes relevant de l’asile font également l’objet d’un suivi et d’un contrôle normatif de leur intégration.

Or, tout parcours d’intégration est bien plus complexe que ces procédures standardisées, abstractions bureaucratiques et calculs financiers. Il est jalonné par des obstacles, relatifs notamment au statut de ces personnes, mais aussi aux conditions de vie à l’aide sociale (ou à l’aide d’urgence) et/ou à leurs parcours individuels. (À ce sujet voir aussi le préjugé « Profit ? ».)

Le troisième rapport de suivi de l’association map-F montre justement que les investissements dans l’intégration (en particulier des personnes admises provisoirement) ne sont pas efficaces tant que les personnes concernées sont privées de moyens du subsistance adéquats. Celles et ceux qui n’ont pas assez d’argent pour vivre ne sont pas dans des dispositions favorables pour bénéficier pleinement de programmes d’intégration coûteux. En ce sens, les conditions structurelles, notamment les conditions de vie imposées par le système d’assistance, entravent massivement le parcours d’intégration de ces personnes.

Cette problématique est d’ailleurs accentuée par les inégalités relatives aux possibilités d’intégration qui existent en Suisse. Tout comme pour l’inégalité de traitement qui existe déjà en matière d’organisation du système d’assistance et d’hébergement des personnes admises provisoirement, map-F constate également de grandes différences entre les communes en ce qui concerne la promotion de l’intégration.

Enfin, il convient de souligner que l’Agenda Intégration vise prioritairement les personnes ayant un « potentiel d’emploi ». Les enfants, les personnes âgées, les personnes avec des problèmes de santé, ainsi que celles ayant des personnes à charge (en particulier les femmes) ne sont pas au centre de cette politique. Afin d’éviter l’exclusion de cette population, map-F appelle ainsi les responsables politiques à encourager l’intégration indépendamment du « potentiel de gain » des personnes. D’autant plus que leur contribution à la société va bien au-delà de l’aspect économique.

Source: Map-F, Status F – Sackgasse oder Ausgangspunkt zur Integration ?, mai 2020. (Voir aussi : Permis F – impasse pour l’intégration, en ligne depuis le 11 juin 2020 sur asile.ch.)

Voir aussi : Alberti, 2019, « Sous-traitance et bureaucratisation néolibérale : une analyse de l’interface de la distance dans l’accueil des demandeurs d’asile », Lien social et Politiques, 83.

Références +

Bolzman, Claudio, Felder, Alexandra, et Antonio Fernandez (2020). En transition : trajectoires de formation de jeunes migrant·e·s en situation juridique précaire, Genève, Éditions ies.

CdC/CDIP/CDAS, « Agenda Intégration Suisse. Rapport du groupe de coordination du 1er mars 2018 ».

CdC/CDIP/CDAS, « Faits et chiffres concernant l’Agenda Intégration », avril 2018.

CSIAS, « Un emploi au lieu de l’aide sociale. Propositions de la CSIAS destinées à insérer les réfugiés reconnus et les personnes admises à titre provisoire durablement dans le marché du travail », janvier 2017.

Di Donato, Flora, Garros, Elodie, Lavanchy, Anne, Mahon, Pascal, et Tania Zittoun (2020). La fabrique de l’intégration, Lausanne, Antipodes.

Probst, Joanna, D’Amato, Gianni, Dunning, Samantha, Efionayi-Mäder, Denise, Fehlmann, Joëlle, Perret, Andreas, Ruedin, Didier, et Irina Sille (2019). « Marges de manœuvre cantonale en mutation. Politique migratoire en Suisse », SFM Studies, 73.

Site internet des Programmes d’intégration cantonaux (PIC).